Éditions La Découverte/Zones, 2024, 272 pages, 20 euros.
Mona Chollet s’occupe cette fois de ce qu’elle appelle « l’ennemi intérieur », celui qui est dans les têtes des oppriméEs, dans leur conscience, celui qui paralyse, qui empêche de se défendre parfois de vivre. En plus des violences, des agressions extérieures et permanentes, cette société d’oppressions produit aussi la culpabilisation chez celles et ceux qui subissent les dominations multiples. À partir de son expérience et à partir de nombreuses réflexions et témoignages, à partir aussi de l’actualité des luttes féministes comme avec #MeToo, contre la survivance des idées réactionnaires, ces culpabilisations sont décrites, mises en évidence pour tenter de mieux les combattre.
Les femmes, premières coupables
C’est d’abord les femmes qui y sont confrontées. Et c’est une vieille histoire, religieuse, qui commencerait presque avec Saint Augustin qui voit la femme dans l’origine du mal, avec Eve et son satané péché originel. Et pourtant cela aurait pu se passer autrement, car à la même époque (5e siècle), il y a Julien d’Éclane qui s’oppose à Saint Augustin. Il refuse l’idée du mal, du péché et de la punition. Pour lui, l’être humain est libre. Mais bon, c’est le réac qui va l’emporter et à partir de là tout va aller de travers.
Mona Chollet raconte les dégâts de ce qui devient alors une haine envers les femmes, puisque les malheurs viennent d’elles. Sur plusieurs chapitres sont listées les pressions, les oppressions, les culpabilisations que les femmes subissent tout le long de leur vie : la maternité, l’éducation des enfants, dans leur vie professionnelle, le patriarcat au quotidien. Il y a notamment l’illustration très actuelle avec la culpabilisation face aux agressions sexuelles et aux viols (culture du viol).
Au passage, le livre raconte comment l’enfant depuis des siècles, a aussi été diabolisé et maltraité, lui aussi considéré comme le mal, subissant une éducation sévère, brutale, qui reste encore justifiée par certains courants idéologiques.
L’individu culpabilisé au travail comme au supermarché
Et puis la culpabilisation nous concerne plus largement au travail car c’est bien connu, la valeur travail est essentielle contre l’assistanat et la paresse. Si nous ne sommes pas motivéEs au travail, c’est forcément un problème ; si nous n’arrivons pas à faire face à la charge de travail, c’est forcément de notre responsabilité et non pas de l’organisation du travail ou des rapports d’exploitation. Il y a toute une partie sur cette souffrance au travail et les conceptions rétrogrades mais omniprésentes du « travailler plus » et du productivisme.
Enfin il y a la culpabilisation du consommateur. Notamment en ce qui concerne la protection de l’environnement. La pression est là encore pour responsabiliser l’acheteurE que nous sommes. C’est à nous d’acheter écolo, à nous de recycler, etc. Ce n’est pas le système capitaliste qui est en faute, pas les multinationales… il ne faut pas exagérer !
Pression des milieux militants
Pour finir, comme nous ne sommes plus à une culpabilisation près, Mona Chollet parle de la pression que se mettent les milieux militants. Il y a une forme de violence, de dureté dans les rapports humains, de dérives punitives que s’infligent les personnes pourtant investies dans les luttes contre les oppressions et les discriminations. Un mot de travers, une incompréhension, une maladresse, une blessure involontaire et voilà l’accusation et la culpabilisation.
Voilà donc un livre, riche de références historiques et bibliographiques, qui touche, qui fait réfléchir et qui met en évidence ces culpabilisations auxquelles, oui !, il faut résister… indéniablement pour réussir à combattre les oppressions.
Philippe Poutou