Publié le Vendredi 21 juillet 2023 à 17h00.

L’enseignement supérieur ne tient que sur la précarité de ses personnels

Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (ESR) est certainement celui qui, au sein de la fonction publique, recourt le plus massivement à l’emploi contractuel et aux statuts plus ou moins précaires.

Côté enseignement, le nombre de collègues aux statuts et conditions de travail précaires s’élève à près de 140 000. Elles et ils assurent près du quart des heures d’enseignement. Sur-représentés dans les formations de premier cycle (licence), ces collègues le sont aussi dans les universités les moins dotées et en sciences humaines et sociales ainsi qu’en STAPS. Alors que l’emploi statutaire chutait de 2,4 % entre 2014 et 2021, le nombre d’agentEs contractuels augmentait lui de 13,4 % sur la même période. 

Au statut précaire (CDD, « CDI de mission », enseignantEs vacataires…) s’ajoute une rémunération qui s’avère en réalité aujourd’hui inférieure au smic horaire. Depuis 2019, les vacataires sont rémunéréEs 41,41 euros brut par heure de travaux dirigés (TD). Cette heure de cours, le ministère lui-même l’estime équivalente à 4,2 heures de travail effectif (préparation, correction…) ce qui revient donc payer l’heure 9,85 euros brut quand le SMIC s’élève lui à 10,15 euros. Et puisque rien ne leur est épargné, ces vacations ne sont, sauf cas exceptionnels, pas versées mensuellement, alors que la LPR (loi de programmation de la recherche) et le code de l’éducation l’imposent depuis des années maintenant. Attendre six mois pour percevoir la rémunération d’heures payées sous le smic, voilà la terrible réalité pour des dizaines de milliers de précaires de l’ESR. 

Cette place centrale de la précarité dans l’ESR est marquée selon le syndicat Snesup-FSU par le « jour du dépassement universitaire ». Chaque année, à partir de la mi-janvier, les heures officielles dispensées par les enseignantEs titulaires sont toutes effectuées, le reste de l’année devant donc se tenir sur les seules vacations mais aussi les heures complémentaires des enseignanEs titulaires. 

Prolétarisation du travail intellectuel 

Un nombre de postes de titulaires insuffisant, une mise en compétition des laboratoires et équipes de recherche, la recherche permanente de financement… tout cela produit immanquablement une telle quantité de travail gratuit dans l’ESR qu’il en devient structurel. Surveillance d’examens et corrections de cours que l’on a pas donné, contrat à temps partiel sur des missions pérennes, production d’articles pour obtenir des post-doc : dans l’ESR, il faut savoir durer, et donc savoir accepter une prolétarisation de ses conditions de travail. Une prolétarisation qui ne signifie pas forcément un bas niveau de vie mais une aliénation croissante, une perte d’accès aux moyens et au contrôle de ses conditions de travail, à la subordination croissante, à l’imposition des tâches les moins « reconnues » (travail de terrain, bibliographie, constitution des bases de données…).

Ce « fordisme » universitaire, qui tient sur une armée de réserve de « jeunes » chercheurEs aux contrats précaires, s’accompagne mécaniquement d’une dégradation des conditions de travail, donc de la santé et de la sécurité des personnels. Les exigences de rentabilité dans les labos, de polyvalence pour pallier les manques de personnels, l’isolement… engendrent une multiplication de burn out, une souffrance au travail qui explose, des avis d’inaptitude qui pleuvent, des violences sexistes et sexuelles au travail, des suicides. Tout cela dans un contexte de médecine du travail inexistante dans l’ESR. Face à cela, les établissements répondent par la mise en place de référents « qualité de vie au travail » pendant que le gouvernement a détruit les CHSCT et les possibilités d’action des représentantEs du personnel.

Trouver le rapport de forces

La forte mobilisation des personnels de l’ESR contre la LPR en 2019-2020, conjointe avec celle contre la réforme des retraites du premier quinquenat Macron, a vu (ré)apparaître de nombreux collectifs de précaires sur les campus, ainsi qu’une coordination nationale, pour aboutir à la journée de mobilisation historique du 5 mars 2020 (mobilisation malheureusement stoppée net par le confinement). Si ces collectifs ont pour la plupart été mis en sommeil depuis, les liens tissés, les contacts pris, les nombreuses publications et réseaux sociaux développés ont permis de maintenir un partage des expériences, une mise en commun, ainsi qu’une certaine reconnaissance puisque des collectifs de précaires sont désormais membres de l’­intersyndicale de l’ESR.

Au second semestre de cette année universitaire, le collectif Vacataires.org, soutenu par plusieurs collectifs (Ancmsp, Mobilisations.org, RogueESR, Université Ouverte, CJC…), des organisations syndicales (SUD, CGT) mais aussi des éluEs (FI), a lancé une campagne appelant les vacataires, mais aussi les enseignantEs titulaires en solidarité, à effectuer une rétention des notes afin de faire pression sur le ministère et les établissements en vue d’une augmentation et de la mensualisation de leur rémunération. Sur plusieurs établissements, principalement en région parisienne, ce sont des milliers de notes qui n’ont pas été remontées aux scolarités.

Cette campagne, il faut l’avouer, n’a pas pu s’étendre et se coordonner suffisamment pour permettre un rapport de forces suffisant face au ministère mais aussi face aux établissements qui ont pu recourir à des formes de chantage ou de contournement réglementaires pour briser cette campagne. D’un autre côté, la solidarité des enseignantEs titulaires, voire d’organisations syndicales, est restée trop timide. Il y a pourtant un enjeu central et commun à construire des formes de mobilisation communes à tous les personnels de l’ESR. Comment accepter aujourd’hui que deux tiers de l’année soient assurés par des personnels non titulaires ? Comment, du côté des enseignantEs chercheurEs, effectuer son travail de recherche convenablement en étant sous la pression constante de devoir effectuer des heures supplémentaires pour assurer les cours ? Comment, en tant qu’étudiantE, continuer d’accepter de voir des vacataires sur les estrades des amphis partager des conditions d’existence tout aussi précaires que les siennes ?