Après les mobilisations de 2019-2020 et l’ajournement de la réforme dans le contexte du covid, Macron et le gouvernement reviennent à la charge avec une nouvelle réforme des retraites. Il ne s’agit pas d’une réforme systémique — comme proposée la fois précédente avec la retraite à points — mais d’une réforme paramétrique dans la lignée des précédentes (2003, 2010, 2012 pour les plus récentes). Elle n’en demeure pas moins une attaque frontale contre notre classe.
Dans un contexte d’instabilité économique profonde, de crises sanitaire, écologique, sociale et politique, le capital souhaite manifestement récupérer à son profit l’argent qui lui échappe via les systèmes de cotisation de notre système de sécurité sociale et des retraites, comme il l’a fait pour l’assurance chômage.
C’est nos salaires, au sens des salaires socialisés, qui seront attaqués, diminués si cette contre-réforme passe. C’est donc la répartition entre capital et travail qui se joue ici.
Au-delà, il y a également un enjeu idéologique : en finir avec le compromis des 30 glorieuses. Il s’agit de faire basculer les cotisations sociales dans le champ du capital comme cela est déjà le cas dans de nombreux pays avec des résultats dramatiques pour les classes populaires dans tous les domaines de la vie.
Le gouvernement ne reprend pas exactement les termes de la réforme qu’il avait proposée il y a deux ans, c’est probablement en partie parce qu’il n’est pas serein. En effet, son illégitimité n’a jamais été aussi flagrante et la réélection lamentable de Macron en est un des éléments. La défiance envers le pouvoir, les institutions et le gouvernement est largement partagée dans la population. Les mobilisations précédentes, en particulier celle des Gilets jaunes, l’ont fragilisé.
Intersyndicale unie, grève reconductible et auto-organisation
Les dynamiques à l’œuvre dans le mouvement social sont complexes. En particulier, l’approche du congrès confédéral de la CGT en mars a des répercussions sur les rythmes de mobilisation : contesté sur sa gauche de manière plus structurée que lors des congrès précédents, la direction autour de Martinez tente de reprendre la main en étant plus à l’offensive. Dans ce contexte, les rapports entre les différents courants de la CGT et la LFI et/ou le PCF jouent également. Ainsi, la compétition entre les différents courants a sans doute participé au fait que l’intersyndicale propose finalement une date avant la manif impulsée par La France insoumise le samedi 21 janvier. Contrairement à ce qui s’était passé avec les marées populaires de 2018, la CGT se montre beaucoup plus réticente au travail commun entre organisations syndicales et politiques. Du côté de Solidaires existent des contradictions internes par rapport à un syndicalisme qui se veut à la fois de masse et radical, une radicalité qui de plus peut rentrer en contradiction avec la participation de Solidaires à un cadre intersyndical très large.
Le fait que l’intersyndicale soit extrêmement large est un point d’appui pour démarrer le mouvement, même si nous ne nous faisons pas d’illusions sur les trahisons rapides probables de certaines organisations. Elle est le reflet du rejet massif de la réforme dans l’ensemble de la population et permet de le consolider. Le choix de Macron de s’appuyer sur les parlementaires LR réduit sa marge de manœuvre pour négocier avec la droite du mouvement syndical. Sans grain à moudre, le prix de la trahison sera plus élevé que d’habitude, ce qui joue objectivement au maintien de l’unité des appareils pour appeler aux grandes journées de grève, en tous cas pour l’instant...
Pour notre part, nous devons nous appuyer sur l’accumulation d’expériences des mobilisations précédentes : interpro de 2003, Nuit debout en 2016, marées populaires en 2018, mouvement des Gilets jaunes en 2018, interorga et assemblées générales en 2019-2020... Nous devons avoir la préoccupation de participer à construire concrètement la grève, à l’ancrer sur les lieux de travail. Il y a un enjeu majeur à éviter la tentation de la grève par procuration, d’autant que l’émergence d’un secteur jouant le rôle de locomotive est peu probable. Même si cela est difficile, nous ne devons pas renoncer à massifier la grève dans le privé au-delà des équipes de militantEs syndicaux.
La journée du 19 a été extrêmement massive grâce à la présence d’un très large arc syndical et à l’appui des organisations politiques de la gauche : deux millions de manifestantEs. Il faut remonter aux mobilisations de 2010 pour retrouver un chiffre comparable. Les manifestations ont été importantes partout et notamment dans de petites villes, avec une présence significative du privé. Cependant, l’enjeu reste la construction de la grève reconductible. En l’état actuel les cadres d’auto-organisation sont trop faibles pour permettre d’envisager un débordement du calendrier intersyndical. L’enjeu des prochains jours est de les construire ainsi que de mettre en discussion la nécessaire reconduction au lendemain du 31. Les appels à la grève (comme celui des raffineries les 26-27 janvier), de mobilisations sectorielles (comme dans l’éducation ce mercredi 25 janvier ou autour de la préparation de la prochaine rentrée scolaire), ou de journées de grève à l’occasion des négociations salariales, vont d’ici là constituer de possibles points d’appui. L’intervention de la jeunesse scolarisée dans la mobilisation pourrait participer à en changer le caractère. Plus que de chercher une improbable locomotive, il faut construire la grève dans l’ensemble des secteurs pour partir ensemble ce 31 janvier.