En reprenant le concept porté par les activistes du sida « indétectable = intransmissible », l’assemblée générale des Nations unies s’engageait en juin 2021 à « mettre fin aux inégalités et agir pour vaincre le sida d’ici 2030 ». L’objectif était que 95 % des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut sérologique, que 95 % des personnes qui connaissent leur séropositivité soient sous traitement et que 95 % des personnes sous traitement aient une charge virale indétectable.
L’Assemblée promettait de fournir un traitement contre le VIH à 34 millions de personnes d’ici 2025 mais aussi de lutter pour « mettre fin aux inégalités », sur lesquelles le VIH-sida prospère, et à « la violence, à la stigmatisation, à la discrimination ».
Il faut également lutter contre « des lois limitant la liberté de mouvement ou accès aux services » des « gays et autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, travailleurs du sexe, consommateurs de drogues injectables, personnes transgenres, en prison et en milieu fermé (…), de personnes ayant un handicap, de minorités ethniques et raciales, de populations autochtones, de communautés locales, de personnes vivant dans la pauvreté, de populations migrantes, réfugiées et déplacées internes, ou encore du personnel en uniforme et impliqué dans des situations d’urgence humanitaire, ainsi que dans des situations de conflit et post-conflit ».
Des engagements qui portent la marque des milliers d’activistes du VIH, qui se sont mobiliséEs partout dans le monde, mais qui se sont fracasséEs sur les réalités du monde capitaliste, ses crises, ses guerres et ses oppressions ! C’est pour cela que nous avons tenu à donner la parole dans ce dossier à ces activistes.
En 2021, 1,5 million d’infections en plus dans le monde
Car les données d’ONUsida et de la Conférence internationale sur le sida organisée en 2022 au Canada ont enregistré une réalité à l’opposé de ces promesses. Les budgets ont reculé, et les infections repartent à la hausse ! 1,5 million l’an passé, soit un million de plus que les objectifs mondiaux de réduction.
De nouvelles contaminations ont touché de manière disproportionnée les jeunes femmes et les adolescentes, notamment en Afrique sub-saharienne, avec une nouvelle infection toutes les deux minutes. Depuis plusieurs années, l’Europe de l’Est et l’Asie centrale, l’Amérique latine, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord enregistrent une augmentation des infections annuelles au VIH. En Asie-Pacifique, les données actuelles d’ONUsida révèlent une recrudescence des nouvelles infections au VIH là où elles avaient baissé. Les raciséEs, les populations autochtones, souvent pauvres, sans droits ou sans papiers, avec des accès plus difficiles aux services de santé et de dépistage ont des risques aggravés face au VIH. Ainsi au Royaume-Uni et aux États-Unis, les nouveaux cas de VIH ont davantage baissé parmi les populations blanches que parmi les personnes noires. En Australie, au Canada ou aux États-Unis, les taux d’acquisition du VIH sont plus élevés dans les communautés indigènes que dans les communautés non indigènes.
Le financement national de la riposte au VIH dans les pays à revenu faible et intermédiaire baisse depuis deux ans
Partout les budgets contre le VIH ont reculé. Même l’ONUsida doit reconnaître que « l’aide au développement à l’étranger pour le VIH fournie par des donateurs bilatéraux autres que les États-Unis d’Amérique a chuté de 57 % au cours de la dernière décennie ». Huit milliards de dollars manquent à la riposte au VIH dans les pays à revenu faible et intermédiaire par rapport au niveau nécessaire d’ici 2025. Le montant du remboursement de la dette par les pays les plus pauvres a atteint 171 % de l’ensemble des dépenses de santé, d’éducation et de protection sociale combinées, ce qui tue dans l’œuf leurs capacités à riposter au sida, alors que dans le même temps la crise et la guerre en Ukraine font monter les prix internationaux de denrées, des médicaments, multipliant les pénuries. Le financement national de la riposte au VIH dans les pays à revenu faible et intermédiaire baisse depuis deux ans. Les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les droits de propriété intellectuelle et les brevets des firmes pharmaceutiques interdisent aux pays dominés de produire à bas coût les médicaments, les tests capables de traiter, prévenir et dépister le VIH, y compris les traitements anti-VIH innovants et prometteurs à action prolongée. Et leurs prix sont beaucoup trop élevés pour que ces pays les achètent en grande quantité. Sans compter qu’une part des milliards d’euros versés par les États pour la lutte contre le covid ont été siphonnés sur les fonds internationaux contre la lutte VIH-tuberculose. En effet, l’association tuberculose multi-résistante et VIH est fréquente et fait des millions de morts.
Seules trois quarts des personnes séropositives ont accès à un traitement antirétroviral
Depuis 2012, le laboratoire Johnson et Johnson a mis sur le marché un nouveau traitement, la Bedaquiline, très efficace, oral, avec beaucoup moins d’effets secondaires que les anciens traitements. Depuis des années, la campagne d’accès aux médicaments essentiels de Médecins sans frontières (MSF) dénonce les prix très élevés de la Bedaquiline, alors que le produit a été développé avec des fonds publics aux États-Unis et l’intervention d’associations comme MSF. Une dénonciation d’autant plus nécessaire qu’un prix de 0,25 dollar par jour suffirait à rentabiliser le produit !
Aujourd’hui seulement trois quarts des personnes séropositives ont accès à un traitement antirétroviral, ce qui veut dire qu’au moins dix millions de personnes en sont privées. Un accès qui descend à 52 % seulement pour les enfants. Et un écart qui se creuse avec les adultes ! On le voit, la question du VIH démontre que la santé est moins une question de médicaments, de médecins… que de lutte contre les oppressions, les exclusions, l’appropriation par quelque-uns des biens communs que sont l’éducation, l’autonomie, les médicaments. À l’opposé du traitement capitaliste de la crise du covid, où les patientEs étaient le problème qu’on devait mater à coups d’amendes ou de QR code, les activistes du sida démontrent que les malades sont une partie de la solution, par leurs mobilisations, leurs exigences de participation en tant que patientE expert, à une santé communautaire centrée sur les patientEs, les usagerEs, les communautés et leurs droits, garantis par leur information et leur auto-organisation.