«Premier acheteur et investisseur public, le ministère de la Défense suscite et accompagne l’innovation industrielle et technologique en dépit du contexte budgétaire […] La défense se retrouve ainsi au cœur de la politique de croissance et de compétitivité ». Cette déclaration de Jean-Yves Le Drian a d’autant moins de risque d’être démentie qu’en France la recherche en économie de l’armement est pratiquement impossible hors du financement du ministère de la Défense.
Un héritage gaulliste assumé
La production d’armes constitue une projection dans le domaine économique des fonctions politiques de défense exercées par l’État contre les menaces extérieures. Or, depuis le début de la Ve République, les gouvernements de droite et de gauche ont assumé l’héritage gaulliste : le « rang » de la France dans le monde repose conjointement sur ses performances économiques et sur ses capacités militaro-nucléaires. La France est, avec les États-Unis, le pays dont les interactions entre les deux composantes sont les plus denses. Ces facteurs externes qui renforcent la centralité du militaire se sont conjugués avec les mécanismes d’auto-expansion qui sont propres aux systèmes militaro-industriels. En France, le méso-système de l’armement (MSA) est principalement composé de la Délégation générale de l’armement (DGA), qui en demeure la colonne vertébrale, des grands groupes de la défense et des agences technologiques (CEA, ONERA, CNES). Le MSA repose sur de forte relations marchandes, mais également non marchandes (organisationnelles, interpersonnelles, etc.) entre les firmes qui composent le système.
Le MSA bénéfice d’une position dans le système productif de la France qui est d’une importance sans égale dans les autres pays développés. En 2017, le chiffre d’affaires (CA) de l’industrie d’armement (paiements DGA + exportations) s’est élevé à 23,8 milliards d’euros. Il est bien inférieur à celui de l’industrie automobile (135 milliards d’euros), mais assez proche de celui réalisé par toute l’industrie de produits informatiques, électroniques et optiques (28,9 milliards d’euros) et trois fois plus élevé que celui de plusieurs secteurs déterminants pour le dynamisme d’un système productif (mécanique industrielle, machines-outils).
La manne des financements publics
L’industrie d’armement emploie 115 000 salariéEs (source : ministère de la Défense), soit 3,7 % des salariés de l’industrie manufacturière, mais son importance est beaucoup plus élevée en ce qui concerne les activités technologiques. En 2018, les dépenses de recherche-développement (R&D) des huit grands groupes contractants du ministère de la Défense représentaient 23 % des dépenses de R&D de toutes les entreprises résidentes. Ce n’est guère étonnant : d’une part les grands groupes bénéficient largement du crédit d’impôt recherche (un milliard d’euros en 2019), d’autre part les financements publics de recherche-développement (R&D) destinés aux entreprises sont à plus des deux tiers orientés vers la construction aéronautique et spatiale (militaire et civil). Or, ces financements publics sont à environ 90 % dirigés vers les labos des grands groupes de l’armement.
L’industrie aéronautique est la seule industrie – l’impasse du nucléaire étant suffisamment documentée pour ne pas devoir y revenir dans cet article – à avoir bénéficié de la priorité défense des gouvernements français.
Extrait de « La centralité du militaire en France et ses effets sur le système productif et l’emploi », paru dans la revue Les Possibles (Attac), été 2020.