Six mois après le début des grèves en Guadeloupe, les luttes continuent pour obtenir l’application des accords arrachés par les luttes. Pour les organisations composant le LKP, il s’agit de préparer l’avenir.
« Le mouvement populaire de revendication du premier trimestre 2009 en Guadeloupe marque un tournant dans la construction de notre conscience individuelle et collective. Plus aucun d’entre nous ne peut rester indifférent devant les multiples exactions des patrons face au Code du travail. Plus aucun d’entre nous ne peut ignorer le rôle moteur des békés et des oligarchies blancs créoles dans la pérennisation des rapports sociaux d’humiliation et d’exploitation. Plus aucun d’entre nous ne peut feindre d’ignorer que l’Etat colonial est le principal animateur d’un vaste système de "pwofitasyon". » Communiqué du LKP du 24 mai
Trois mois après fin de la grève générale en Guadeloupe, le véritable séisme qui a secoué l'île et mis à nu la perpétuation du système colonial français continue de produire ses effets.
Malgré les tentatives pour isoler, calomnier et criminaliser le LKP et sa principale composante l'UGTG qui se multiplient - au mois de mai sept procédures, au moins, visaient des responsables ou d'anciens responsables de l'UGTG ainsi que des avocats du syndicat - la mobilisation pour l'application des accords ne faiblit pas et les affrontements avec le pouvoir se font plus durs.
Les mobilisations continuent
Le 7 mai, suite à la manifestation de 8 à 10 000 personnes dans les rues de Basse-Terre, le Conseil général de la Guadeloupe est envahi sans violence ni dégradation, au moment où allait se réunir le Congrès de la Guadeloupe, c'est-à-dire la réunion du Conseil général et du Conseil régional, une tentative des élus, marginalisés pendant des mois, pour reprendre la main.
Pour les manifestants, il ne s'agit pas d'empêcher la réunion mais d'interpeller les élus. C'est une mobilisation autour des travailleurs en grève, pour certains depuis plusieurs mois ou semaines : les pompiers de l’aéroport depuis le 17 décembre 2008, les travailleurs de la Maison départementale de l’enfance ou ceux d’Orange Caraïbe depuis près de deux mois. C'est aussi pour dénoncer la situation des 750 travailleurs de l’hôtellerie, au chômage partiel ou total, les patrons refusant de rouvrir les hôtels tant qu'ils n'ont pas la promesse d'un « climat social serein ». C'est encore pour dénoncer le fait que 30 000 salariés ne bénéficient toujours pas des dispositions de l’accord Bino initial, l'Etat refusant son extension complète. C'est, enfin pour stigmatiser le non-respect par l'Etat et les collectivités locales de la plupart des dispositions contenues dans l’accord du 4 mars 2009 ou le comportement des grandes surfaces qui compensent les baisses sur quelques produits par une forte augmentation des autres.
Au lieu de dialoguer, les élus ont préféré se cacher et crier à l'émeute et à la tentative de coup d'Etat.
Le 13 mai, les travailleurs de 16 entreprises en lutte appartenant à des branches extrêmement diverses appellent ensemble à une riposte unitaire pour imposer l'application des accords et l'ensemble de leurs revendications : « Désormais, la cause de chaque camarade en lutte devient la cause de tous les travailleurs. Désormais, une seule réponse : la riposte massive des gwadloupéyen. Désormais, l’apaisement ne sera possible qu’avec la satisfaction de toutes les revendications. »
Le boycott des états généraux
Le 26 mai enfin, Elie Domota, au nom du LKP dénonce « le complot Etat, Région, Medef visant à remettre en cause l’application de l’ensemble des dispositions de l’accord salarial dit Accord Jacques Bino à tous les travailleurs de Guadeloupe ; réaffirme qu’il (le LKP) ne reculera pas et continuera d’exiger l’entière et pleine application de l’ensemble des dispositions arrêtées dans le protocole du 4 mars 2009, et la poursuite des négociations sur les autres thèmes, notamment « l’augmentation des minima sociaux pour les personnes âgées, les personnes handicapées et la mise en œuvre effective de véritables plans d’urgence pour la formation et l’insertion professionnelle des jeunes".
Quant aux états généraux convoqués par Sarkozy pour éteindre le feu, ils se poursuivent dans l'indifférence générale, sans la participation du LKP. Le peuple guadeloupéen n'est pas prêt à rentrer dans le rang et à oublier.
Un avenir à construire
Mais au-delà la lutte, l'heure est également au bilan, à la réflexion, peut être pas tout à fait encore à tracer ouvertement de nouvelles perspectives tant que la victoire sur les revendications n'est pas complète. Chaque syndicat, chaque organisation a commencé à s'en préoccuper.
Le mois de mai a été l'occasion de revenir sur les massacres des 26 et 27 mai 1967, la terrible répression de la grève des ouvriers du bâtiment, 87 morts, plus de 100 blessés, 200 arrestations, d'interroger cet événement essentiel et ses conséquences sur la création d'un syndicalisme de lutte de classe, de faire appel aux témoins et aux participants, à ceux qui avaient connu la prison ou la clandestinité, de réclamer justice et vérité. Des colloques ont été organisés comme celui du mouvement culturel Voukoum, « Liens entre Identité culturelle & Conflits sociaux politiques en Guadeloupe ».
Aujourd'hui de nombreuses questions se posent et d'abord que va devenir le LKP qui fut un temps un véritable contre-pouvoir ? Il est certain qu'il va continuer et qu'il ne s'agit pas d'une construction temporaire et conjoncturelle. Comment va-t-il se structurer ? Comment va-t-il réussir à garder son dynamisme et sa cohésion. Va-t-il réussir à constituer dans chaque commune des collectifs durables, comme il en a l'intention ? Il est composé, on le sait, non seulement des organisations syndicales guadeloupéennes, mais aussi de sections des organisations métropolitaines, des organisations politiques, comme les organisations indépendantistes (Nonm, UPLG), le PCG, Combat ouvrier, les Verts, des organisations paysannes, de pêcheurs, de personnes handicapées, des associations culturelles, très fortes dans la jeunesse etc. 49 organisations qui constituent un maillage très fort et très complet des différentes composantes du peuple guadeloupéen. Comment continuer à gérer cette grande diversité et toutes ces histoires ?
Le maintien de l’unité
Il est certain que l'une des clés est le maintien d'un front syndical de lutte entre les trois syndicats guadeloupéens : l'UGTG, la CGTG et la CTU. L'UGTG (51,67 % aux prud'homales), créé en 1973 par des militants de l'Union des travailleurs agricoles (UTA) est issue des organisations anticolonialistes et indépendantistes. Elle se définit comme « une centrale de lutte de classe », très implantée chez les jeunes et chez les plus pauvres, elle est également très active dans le mouvement culturel. Ce n'est pas qu'un syndicat, sa dimension politique est essentielle.
La CGT (19,83 %), vivement remise en cause dans les années 1970 et 1980, aujourd'hui libérée de la tutelle du PCG, est redevenue une organisation combative particulièrement implantée dans le secteur public et dans les dernières usines sucrières. La CTU (8,57 %), le dernier-né des syndicats guadeloupéens est très présente dans les grandes surfaces.
Se posent aussi des questions à plus long terme : quel avenir et quelle société pour une Guadeloupe débarrassée du colonialisme, quelle solidarité avec les peuples de la région avec la Martinique, avec la Guyane, autres colonies françaises, avec Haïti, Cuba et l'ensemble des Caraïbes ou de l'Amérique latine, quels rapports politiques, culturels, économiques ?
C'est au peuple guadeloupéen et à ses organisations d'y répondre. Les résultats ne sont pas minces, mais le plus important reste cette prise de conscience par les Guadeloupéens de leur force collective, ce sont les formes d'organisations déjà mises en place, c'est le fait que le pouvoir colonial est désormais totalement discrédité et en voie de décomposition.
"Rien ne sera plus jamais comme avant", si cette phrase a un sens c'est bien aujourd'hui en Guadeloupe. Une page est tournée. Une autre commence.
Pour nous c'est celle de la solidarité internationale, dont le peuple guadeloupéen, qui affronte notre propre Etat, a le plus grand besoin aujourd'hui.
Alain Castan.