Publié le Samedi 7 novembre 2009 à 14h13.

Des interrogations persistantes et  quelques convictions (par Dominique Angelini, François Coustal, Jean-Philippe Divès, Ingrid Hayes)

Pendant des dizaines d’années, la question de la nature de l’URSS, ainsi que des autres systèmes politico-économiques basés sur la propriété d’État et la dictature de partis uniques s’affirmant socialistes ou communistes, a fait l’objet d’interprétations très diverses et de débats passionnés au sein du mouvement ouvrier et révolutionnaire.

Vingt ans après la chute du Mur de Berlin puis la dislocation de l’URSS, sans doute 
parce que l’horizon d’une transformation socialiste est devenu plus lointain et incertain, ces problèmes paraissent moins urgents. Ils restent pourtant concrètement posés s’agissant de pays tels que Cuba, le Vietnam et même la Chine ; dans ce dernier cas, ne serait-ce que pour comprendre son évolution, sans rupture majeure, de la révolution et du (dit) communisme maoïste à son statut actuel de moteur du système capitaliste mondial. Plus généralement, élucider la trajectoire de ces sociétés et États qui apparaissaient porteurs d’une perspective émancipatrice reste une tâche indissociable de la redéfinition d’une stratégie révolutionnaire pour le 
socialisme.

Les événements de 1989-1991 n’ont pas suffi à trancher les controverses du passé. De plus un parti tel que le NPA, qui mêle dès sa naissance des traditions politiques différentes, ne dispose pas d’une – ou en tout cas d’une seule – « théorie » explicative. En revanche, les conditions de la chute des régimes bureaucratiques de l’Est européen, par ce qu’elles ont exprimé elles-mêmes ainsi que ce qu’elles ont révélé des réalités antérieures, nous ont livré quelques enseignements précieux, qui s’intègrent à notre patrimoine politique de départ tel qu’il a été inscrit dans nos « principes fondateurs » .

Conscience et organisation

Une première constatation est que la chute de ces régimes et des systèmes socio-économiques qui leur étaient associés a été forcée par de très grandes mobilisations populaires – démocratiques, nationales et ouvrières –, dont le débouché a été, non la réouverture d’une perspective authentiquement socialiste, mais la restauration du capitalisme (ou d’un capitalisme de marché si l’on pensait que les systèmes en place étaient des « capitalismes d’État »). Quelles qu’en soient les raisons, les grands mouvements populaires de 1989-1991 n’ont pas eu de dynamique vers le socialisme. Quand celle-ci avait pu se manifester auparavant, comme c’était encore clairement le cas dans la Pologne du début des années 1980, elle avait été résorbée et étouffée.

L’absence de conscience socialiste (ou communiste, ou tout autre nom qu’on lui donne), ainsi que d’organisations porteuses d’un tel projet de transformation, a permis aux impérialismes occidentaux d’imposer leur 
hégémonie sur le mouvement de masse, et aux sommets bureaucratiques de se reconvertir en nouvelles élites capitalistes sans rencontrer d’oppositions majeures. Démonstration, s’il en est, de l’absence de tout automatisme qui porterait « objectivement » les mouvements sociaux vers des buts émancipateurs et, par voie de conséquence, de l’impérieuse nécessité de construire aujourd’hui de forts partis politiques assumant sur tous les plans la bataille pour reconstruire et développer une conscience socialiste. De même, l’existence de syndicats et associations indépendants de l’État, pleinement autonomes des pouvoirs politiques, constitue une nécessité afin de garantir que les intérêts des exploités et des opprimés continuent d’être défendus dans toutes les situations.

Ni socialiste ni émancipateur

Une seconde évidence est que dans ces processus, les travailleurs des pays de l’Est – et dans la foulée, ceux de l’ex-URSS – n’ont pas défendu les structures économico-
sociales existantes, en premier lieu la propriété d’État telle qu’elle était organisée, qu’ils ont considérée comme intrinsèquement liée aux régimes politiques oppresseurs. Si l’on écarte l’interprétation infantilisante selon laquelle ils auraient été simplement trompés par le machiavélisme des plans impérialistes, il faut reconnaître que les masses populaires n’ont pas revendiqué cette propriété d’État parce qu’elle leur apparaissait – donc leur était – étrangère et hostile. Les sociétés de l’Est étaient en effet soumises non seulement à l’oppression politique mais aussi, sous des modalités différentes de celles à l’œuvre en occident, à des mécanismes d’exploitation du travail salarié, dont la couche bureaucratique dominante s’appropriait le surplus grâce à son contrôle de l’État.

Ainsi, ces constructions économiques et politiques n’avaient rien de socialiste ni d’émancipateur. Les principes fondateurs du NPA ont pris acte de cette réalité, en énonçant : « le socialisme (…) s’oppose radicalement aux dictatures bureaucratiques qui, de l’ex-URSS à la Chine, en ont usurpé le nom, alors même qu’elles reproduisaient les mécanismes d’exploitation et d’oppression qu’elles prétendaient combattre et favorisaient les pires travers productivistes. »

Un projet différent et opposé

Notre projet politique est radicalement différent et opposé aux modèles de société des pays de l’Est. Par-delà les modalités pratiques qui permettront d’avancer vers un socialisme (ou communisme, ou écosocialisme) authentique, modalités à propos desquelles nous avons beaucoup plus d’interrogations que de certitudes, un tel projet est ancré dans des convictions fondamentales.

Nous savons ainsi que la société que nous voulons construire sera fondée non sur le dogme de la propriété d’État mais sur le pouvoir des travailleurs, quelles que soient par ailleurs les formes juridiques que pourront revêtir leur contrôle et appropriation de l’économie : « Le socialisme, l’écosocialisme, c’est le pouvoir des travailleurs et travailleuses dans tous les domaines et à tous les échelons de la vie politique, économique et sociale. C’est la démocratie des producteurs associés décidant librement et souverainement quoi produire, comment et à quelles fins. Une telle réorganisation de l’économie et de la société suppose un premier niveau d’émancipation du travail, indispensable afin que les collectifs de travailleurs et de citoyens puissent prendre réellement en charge la marche des entreprises et la gestion des affaires publiques. »  

De même, en rupture claire avec les expériences économiques de l’URSS ou de la Chine, «le socialisme que nous voulons ne propose nullement un développement illimité de la production, mais se fonde au contraire sur la satisfaction écologique des besoins sociaux: c’est un écosocialisme.»

En son cœur se trouve la défense et un développement qualitatif de la démocratie, comprise comme étant à la fois objectif et moyen de l’émancipation : «Nous voulons avancer vers l’auto-organisation et l’autogestion démocratiques de la société, et cela implique les plus larges libertés d’organisation et d’expression politiques, syndicales et associatives. Les libertés démocratiques qui ont pu être conquises sous le régime capitaliste seront consolidées et développées. Le socialisme, c’est bien le règne de la démocratie la plus réelle et la plus étendue.»

Un parti adéquat

Tout cela a enfin des conséquences pratiques sur le type de parti dont nous avons engagé la construction, « un parti qui garde la mémoire des combats contre les dérives autoritaires et bureaucratiques qui ont terni les espoirs émancipateurs. » Sans prétendre épuiser le sujet, qui fait également l’objet de développements dans les textes statutaires, les principes fondateurs signalent que « tirant les leçons du passé, nous lutterons contre les processus de bureaucratisation qui sont la plaie des mouvements d’émancipation », en précisant que « notre vigilance commencera par s’exercer à l’intérieur du NPA ».

« Nous voulons que le NPA soit pleinement démocratique, à l’image de la société que nous voulons. Cela suppose que chacune et chacun y trouve sa place, quel que soit le niveau de son engagement. Cela suppose que nous soyons à égalité pour décider, que les instances dirigeantes soient clairement mandatées, dûment contrôlées et révocables, qu’une formation politique soit organisée, que la pluralité des points de vue soit garantie au même titre que le droit de la majorité à agir pour le compte de toutes et de tous.

« Cela suppose aussi que notre parti soit un lieu d’éducation permanente de tous les militants, un lieu d’éducation populaire qui préfigure la société que nous voulons construire. Cela suppose enfin que notre parti soit un lieu de 
solidarité. »

Bibliographie conseillée

François Fejtö, Histoire des démocraties populaires, Tome 1 - L’ère de Staline, 1952, Tome 2 – Après Staline, 1969, Tome 3 – La fin des démocraties populaires, 1992, Paris, (Seuil, coll. Points poche, réédition 1992, 1997)

Léon Trotsky, La révolution trahie, 1936 (réédition 1999), (Editions de Minuit)

André et Jean Sellier, Atlas des peuples d’Europe centrale, 2007 (La Découverte)

Sabine Dullin, Histoire de l’URSS, 2009 (La Découverte)

Carine Clément et Denis Paillard, Le Monde Diplomatique, novembre 2005

Cédric Durand, Les privatisations en Russie et naissance d’un capitalisme oligarchique, Recherches internationales 2005, sur le site de ESSF

Catherine Samary et jean-Arnault Dérens, Les conflits yougoslaves de A à Z, 2000 (L’Atelier)

Site internet

Inprecor: http://orta.dynalias.org/inprecor/home

Europe Solidaire sans Frontières ESSF http://www.europe-solidaire.org/