A près les promesses électorales de « rupture », le défilé des dictateurs africains reçus à l’Élysée par Nicolas Sarkozy avait donné le ton. Les événements de ces dernières semaines confirment que l’impérialisme français en Afrique ne connaît aucune inflexion de fond.
Non contentes de cautionner les manœuvres constitutionnelles et les scrutins truqués des traditionnels dictateurs « amis de la France » acharnés à se maintenir au pouvoir à vie, au Tchad, au Cameroun ou encore au Congo, les autorités françaises se sont fait une spécialité de l’aide aux nouveaux putschistes en manque de légitimité internationale.
Service après-vente pour putschistes
En Mauritanie, le chef de la garde présidentielle, le général Abdel Aziz, fraîchement entouré par des hommes des services secrets français après l’assassinat de quatre touristes1, renversait le président démocratiquement élu Sidi ould Cheikh Abdallahi en août 2008. Mal vus dans plusieurs pays, les putschistes sont discrètement reçus par l’Élysée et la DGSE. La France pousse à l’organisation d’élections sous le contrôle de la junte militaire. Alors que même le président de la commission électorale a préfèré démissionner plutôt que d’en cautionner le résultat, l’élection truquée est déclarée valide par des observateurs internationaux sous influence de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Proclamé président, le général Abdel Aziz a été reçu officiellement à l’Élysée, fin octobre, et Total s’apprête à reprendre l’exploitation pétrolière du pays.
Au Niger, après une visite du président français venu célébrer la signature par Areva du contrat d’exploitation de l’énorme gisement d’uranium d’Imouraren, le président Mamadou Tandja, arrivé en fin de mandat, tentait un coup de force pour jouer les prolongations. Après avoir dissout la Cour constitutionnelle et l’Assemblée nationale qui s’opposaient à ses projets, il a organisé un référendum pour changer la constitution, qui lui interdisait de se représenter, et renforcer les pouvoirs présidentiels. Bien que boycotté par la quasi-totalité du pays, comme les législatives qui ont suivi, la France a « pris note » des résultats du référendum et s’est abstenue de protester contre les arrestations d’opposants.
Au Gabon, berceau originel d’Elf devenu Total, c’est la succession du clan Bongo qu’il a fallu organiser après la mort du plus vieil autocrate françafricain. Si Sarkozy n’avait officiellement « pas de candidat », Ali Bongo, le fils d’Omar, a été le seul prétendant reçu à l’Élysée, et Robert Bourgi (conseiller spécial Afrique de Sarkozy) s’est chargé de faire savoir publiquement qu’il soutenait Ali Bongo et qu’il avait l’oreille de Sarkozy. Là encore, les autorités françaises se sont empressées d’avaliser le scrutin truqué, et le secrétaire d’État à la Coopération, Alain Joyandet, a demandé à l’opposition de laisser le temps à Ali Bongo de « démontrer qu’après le père, le fils peut être un président de rupture »...
À Madagascar, les élections n’ont pas encore eu lieu pour légitimer le jeune putschiste Rajoelina, bien plus attentif aux intérêts français que ne le fut son prédécesseur Ravalomanana, mais la diplomatie française pèse pour que soit mis en œuvre un scénario éprouvé. Jusqu’à maintenant, les négociations butaient sur la composition de l’autorité de transition qui doit organiser les élections, mais la France a déjà œuvré au retour de membres du clan Ratsiraka, dictateur françafricain renversé en 2002.
Qui contrôle ?
Comme au début des premiers mandats de Mitterrand et de Chirac, l’appareil d’État a été traversé par des oppositions plus ou moins feutrées entre les partisans d’une stricte continuité françafricaine – avec ses coups tordus et ses réseaux parallèles – et certains « réformateurs » plus légalistes. Ces derniers ne remettent pas en cause le néocolonialisme, mais veulent en corriger les « excès », animés par des préoccupations morales ou simplement d’efficacité, conscients qu’à terme, en raison des oppositions de plus en plus violentes qu’il suscite en Afrique, l’impérialisme français pourrait payer plus cher son refus de se réformer. Mais comme sous Mitterrand et Chirac, le début du règne de Sarkozy a sanctionné la victoire des « anciens » sur les « modernes ». Le précédent ministre de la Coopération, Jean-Marie Bockel, qui avait publiquement souhaité dresser « l’acte de décès » de la Françafrique, a été relégué aux Anciens combattants, et Bruno Joubert, responsable de l’Afrique subsaharienne au sein de la cellule diplomatique de l’Élysée, qui se disait inspiré par le discours « de rupture » tenu à Cotonou par le candidat Sarkozy, vient d’être remercié par un poste d’ambassadeur au Maroc. Par ailleurs, le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, est souvent réduit à une fonction purement décorative, et doublé par les émissaires officieux de Claude Guéant, comme l’omniprésent Robert Bourgi, ou, pour des affaires plus sensibles, par d’autres envoyés plus discrets, comme le député Patrick Balkany, qui a par exemple négocié la mainmise d’Areva sur l’uranium de la République démocratique du Congo.
Le bras reste armé
Forte médiatisation oblige, la France s’est pourtant démarquée de la junte militaire qui a pris le pouvoir en Guinée à la mort du dictateur Lansana Conté en décembre 2008. Celle-ci a en effet fait massacrer plus de 150 personnes lors d’un rassemblement des partis politiques qui demandaient que le chef des putschistes, Dadis Camara, respecte sa promesse de ne pas se présenter aux élections présidentielles. Quelques jours auparavant, malgré la position officielle de la diplomatie française, ce dernier venait de recevoir le soutien de Balkany pour un scénario à la mauritanienne. Après le massacre, la France a rompu sa coopération militaire, fait suffisamment rare pour être noté. Mais a contrario, cette décision souligne d’une part que la coopération militaire s’était poursuivie jusque là malgré les précédents crimes de l’armée guinéenne, en particulier la répression sanglante de la grève générale en février 2007 ; et d’autre part qu’il s’agit d’une politique à géométrie variable, puisque ni le Cameroun, qui a fait tirer à balles réelles contre les jeunes manifestants des émeutes politiques de décembre 2008, ni la Centrafrique, qui a mené pendant plusieurs mois une politique de la terre brûlée contre des populations supposées acquises aux rebelles, ni le Tchad qui continue malgré plusieurs avertissement internationaux de recruter des enfants soldats qu’il envoie au front, ni d’autres régimes tout aussi criminels n’ont vu la coopération militaire remise en cause.
C’est qu’au plan militaire aussi les effets d’annonce sont plus nombreux que les changements réels. Non seulement la volonté affichée de ne plus intervenir sans mandat de l’ONU a été violée à plusieurs reprises, mais en outre un mandat onusien ou des interventions multilatérales ne constituent nullement des garde-fous contre les manœuvres et les intérêts français, ainsi qu’on a pu le voir en novembre 2004 quand la force Licorne a massacré des civils ivoiriens désarmés. Le contrôle parlementaire sur les opération extérieures reste également de façade, limité au renouvellement des opérations de plus de quatre mois. Enfin, contrairement aux prescriptions du récent Livre blanc sur la défense nationale, il n’y aura finalement pas de base militaire française fermée à Dakar ou à Libreville. Le coût et le volume des opérations extérieures ne cesse d’ailleurs d’augmenter ces dernières années.
Retour économique sur investissement militaire
Les ingérences politiques et militaires de la France ne sont évidemment pas déconnectées des intérêts économiques des entreprises françaises, à commencer par certaines des principales du CAC 40. C’est ce que les militaires nomment dans leurs publications théoriques le « retour économique sur investissement militaire ». Car contrairement à une idée reçue et périodiquement réaffirmée, si les intérêts économiques français se diversifient au-delà du « pré carré » francophone, ils ne baissent ni en volume ni en rentabilité, qu’il s’agisse des domaines traditionnels des matières premières ou des secteurs plus récents, comme celui des télécommunications.
Robin Guébois
1 – Cf. Issa Bâ, « Comment réussir un putsch avec l’aide de la France », Billets d’Afrique n°185, novembre 2009.