Les Pieds Nickelés ont été créés en 1908. Les auteurs de bande dessinée Trap et Oiry reprennent les célèbres personnages pour une histoire sur fonds de mal-logement et de marchands de sommeil. Cent ans après leur création, pourquoi reprendre les personnages des Pieds Nickelés ?C’est une envie très vieille. Nous avons toujours été fans du dessin de Pellos. On s’est rencontrés vers 1992, quand la série a cessé d’être publiée. Il y a quinze ans, on n’avait pas les capacités pour reprendre une telle série. On se disait plutôt : ce serait bien que quelqu’un les reprenne ! Aujourd’hui, on se sent plus en confiance, et on est plus crédibles auprès des éditeurs. D’autre part, le contexte économique et politique nous semble propice au retour de ces personnages. La crise des subprimes a été causée par l’endettement lié au logement ! Il nous est apparu évident tout à coup que, dans ce contexte, les Pieds Nickelés ont des choses à nous dire. C’est une lecture de notre enfance, mais il y avait déjà un côté politiquement incorrect, des personnages sales, impolis, qui détonnent par rapport à Tintin ou Mickey. Ils sont malhonnêtes, ils picolent, c’est presque une lecture en cachette. Cette excitation, ce côté contre-culture pas recommandée par les parents et les profs, est constitutive de notre goût pour la BD. Dans l’esprit, on est plus proches des premiers Pieds Nickelés du début du siècle, ceux de Forton, car il y a eu un affadissement du propos avec Pellos. Avec lui, les Pieds Nickelés sont des sortes de Robin des Bois qui volent aux riches pour donner aux pauvres. Dans la série originale, ils volent aux pauvres aussi, car le mauvais esprit est bien là, réel. Pourtant, depuis Pellos, il est difficile graphiquement de faire de ces personnages des sales types, nous avons donc essayé de les dessiner à la fois sympas et malfaisants, en évitant la niaiserie. Les Pieds Nickelés étaient des punks avant l’heure, leurs cousins américains, les Freaks Brothers, s’inscrivent d’ailleurs dans les années 1970 dans la vague hippie. Il est jubilatoire pour nous de faire picoler ces personnages à toutes les pages de notre album, dans une société qui est tellement hypocrite ! Y a-t-il une dimension de lutte des classes chez les Pieds Nickelés ?Ces personnages ne sont pas dans la lutte des classes mais dans la lutte pour leur gueule. Mais la lutte des classes fait partie du décor. C’est une hypocrisie de notre époque de dire qu’il pourrait y avoir des riches et des pauvres et pas de « fight » entre les deux. Forton était proche des milieux libertaires, même si les Pieds Nickelés pendant la Première Guerre mondiale avaient un côté très anti-boche. Les problèmes de logement sont aux sources de l’anarchisme, avec la réquisition des logements. Il en est de même des manifestations de type tintamarre. Les conditions de vie aujourd’hui font écho avec celles de la fin du xixe siècle qui est un moment essentiel de l’anarchisme. Les Pieds Nickelés ne sont pas des anars, ce ne sont pas des militants mais des individualistes, hédonistes, des bons vivants. Mais leur comportement pousse le système dans ses limites, ils foutent la zizanie autour d’eux. Ils mettent en lumière les dysfonctionnements. Nous avons voulu dans notre album traiter des marchands de sommeil, ce serait presque les Pieds Nickelés contre les marchands de sommeil, même s’ils n’hésitent pas eux-mêmes à profiter de la misère. De manière intrinsèque, cette série fonctionne sur l’actualité, sur des clins d’œil. Dans notre album, dès la première page on a voulu ancrer dans le contemporain, avec un personnage qui sort de prison et qui retrouve son ancien bar préféré transformé en appartement de bobo. Il y a aussi toujours eu des représentations des politiciens dans les Pieds Nickelés : Pompidou, Giscard, Chirac. Le maire de la ville est un mélange de Sarkozy et de Strauss-Kahn. Le personnage d’Arielle Donzelle est à la fois Carla Bruni, Augustin Legrand et Emmanuelle Béart. Mais ça reste un air du temps, sans cibler un individu en particulier. Nous nous sommes inspirés aussi des actions d’un collectif comme Jeudi noir. Dans le prochain album nous aborderons le thème du bio, de ceux qui mangent bio non pour sauver la planète mais pour éviter le cancer, et de la manière dont les Pieds Nickelés essayent d’en profiter. On va essayer de pousser un peu la psychologie des personnages, d’instiller du conflit à l’intérieur de ce groupe soudé. Propos recueillis par Sylvain PattieuTrap et Oiry, Les Pieds Nickelés, Pas si mal logés !, Delcourt, 9,95 euros.