Avant de remporter en 2004 une victoire écrasante, le PS s’était engagé à faire des régions un « rempart » contre la politique de la droite. Six ans après, le bilan négatif est sans appel. Au lieu de résister aux contre-réformes, les exécutifs de gauche les ont accompagnées. Au nom de « l’emploi » et d’un prétendu intérêt général, ils ont multiplié les dispositifs de soutien au patronat. Ils se sont coulés dans le moule non seulement des contraintes institutionnelles, mais aussi des recettes néolibérales.
Évidemment, il y a un décalage très fort avec les paroles, surtout en campagne électorale. Dans leurs bilans, les listes du PS, comme celles de ses alliés Europe Écologie et Front de gauche, mettront plutôt en avant des mesures sociales et écologiques ou présentées comme telles. On mentionnera des réductions voire une gratuité accordées dans les transports aux rmistes ou aux jeunes en formation ; divers dispositifs d’emplois aidés, un effort pour le traitement des déchets, un soutien à des associations luttant contre les discriminations ou une action pour promouvoir l’égalité hommes-femmes. Sans oublier les incitations financières au développement de technologies et produits « verts » – ce que la droite fait très largement aussi depuis le gouvernement et les institutions européennes.
La gestion sociale-libérale présente des différences avec celle de la droite, mais cela se réduit à des mesurettes, n’engageant qu’une très faible partie des budgets. Et le double langage, les déclarations non suivies d’effets, sont permanents. Plusieurs conseils régionaux avaient proclamé leur territoire « hors AGCS1 », mais ensuite tout a continué comme avant. La gestion de la formation professionnelle, à coups d’appels d’offres favorisant le moins-disant des officines privées, au détriment des stagiaires et des personnels, en offre un exemple saisissant. Les annonces de « services publics régionaux de la formation professionnelle » sont une vaste plaisanterie. Ce secteur, comme d’autres, fonctionne dans une logique non de service public mais, en conformité avec les prescriptions néolibérales, de « services au public » délivrés par des prestataires extérieurs.
Nulle part il n’y a eu de volonté d’organiser de nouveaux services publics à l’échelle des régions. Celles-ci agissent, dans la plupart de leurs domaines de compétence, comme de simples donneurs d’ordres. À cela s’ajoute le fait que leurs salariés ne sont pas eux-mêmes très bien traités. Une grande partie des emplois est précaire. Le problème est particulièrement aigu pour les personnels non enseignants des lycées qui se trouvent embauchés à temps partiel ou pour des remplacements. Tous les conseils régionaux, même s’ils affirment mener une politique de réduction de la précarité, continuent de recruter hors statut. Le renouvellement et le maintien d’un important volet de non-titulaires, au lieu de l’emploi sur les mêmes postes de fonctionnaires territoriaux, leur sert à la fois de sas de recrutement, de variable d’ajustement et d’outil de réduction des coûts de personnel. Exactement comme le fait n’importe quelle entreprise capitaliste avec ses CDD et ses intérimaires.
Aides et subventions: le grand festin patronal
Outre leurs subventions aux lycées privés, octroyées bien au-delà des obligations légales, les régions de gauche se signalent par un soutien massif aux centres de formation d’apprentis gérés par le patronat (voir pages 20-21). Leur politique de développement de l’apprentissage a accompagné la casse de l’enseignement professionnel public. Ainsi, au lieu de s’opposer à la suppression des BEP et des CAP, lors de la contre-réforme du bac professionnel en trois ans, au lieu de reprendre alors ces formations dans le cadre d’un service public régional, elles ont choisi de diriger les jeunes en situation d’exclusion scolaire vers les centres d’apprentis.
Partout se sont multipliées les aides et subventions aux entreprises, ainsi que les exonérations de « charges » sous couvert de favoriser l’emploi – exactement comme le fait le pouvoir central. Si les plans en question ne dépassent jamais quelques dizaines de millions d’euros par an, leurs auteurs se vantent que « l’amorçage » régional permet, par « effet de levier », de décupler les financements (en provenance de l’État, de l’Union européenne et d’autres collectivités territoriales). Selon le vice-président communiste en charge de l’action économique en Île-de-France, un plan de 60 millions d’euros mis en œuvre en 2009 aurait entraîné des aides d’un montant total de 450 millions (Regards sur l’Île-de-France, décembre 2009, page 11). En Bretagne, les 53 millions de subventions régionales accordés depuis 2006 au pôle de compétitivité Automobile se seraient traduits par un financement public global de 1,5 milliard.
Les bénéficiaires sont des PME « compétitives », donc travaillant de préférence comme sous-traitantes de grands groupes, des entreprises plus grandes et des multinationales, dont celles du CAC 40. Mais les organismes patronaux ne sont pas délaissés. Au fil des documents (l’opacité est la règle et les données globales accessibles, l’exception), on apprend par exemple que le conseil régional de Bretagne a accordé en 2008 une subvention de 328 585 euros à l’union patronale interprofessionnelle ou qu’en Île-de-France la CGPME a bénéficié en 2009 d’un chèque – modeste – de 48 255 euros.
La concurrence de tous contre tous
Il n’y a pas d’exemple de conseil régional ayant engagé une action pour récupérer une subvention versée à un patron ayant délocalisé ou licencié. En revanche, les exécutifs de gauche se battent entre eux pour « attirer les investissements ». Nos camarades de Haute-Normandie et du Nord-Pas-de-Calais ont dénoncé le fait que SKF, appartenant à la multinationale pharmaceutique GlaxoSmithKline, licencie 600 salariés à Évreux (Eure) en même temps qu’elle s’installe à Saint-Amand-les-Eaux (Nord)… après avoir reçu plus de 2 millions d’aides publiques en Normandie (dont la moitié du conseil régional), et 30 millions en guise de cadeau d’accueil de la part de la municipalité de Saint-Amand. Le maire et le président de la communauté d’agglomération de Saint-Amand est Alain Bocquet, dirigeant du PCF et tête de liste du Front de gauche.
C’est peut-être le plus extraordinaire : au lieu de coopérer face au pouvoir sarkozyste, les régions de gauche se font concurrence. Chacun s’en va revendiquant « la compétitivité », « l’excellence » de « son tissu de PME performantes », « sa ressource humaine », « ses structures de recherche » ou « ses infrastructures de transport ». Les dirigeants de gauche en viennent à se mesurer et mesurer leurs régions les unes par rapport aux autres. Ceux des régions plus riches affirment vouloir conserver leur pole position, les autres ambitionner de rattraper et dépasser les premiers. Dans l’Humanité du 18 janvier, Alain Bocquet, après avoir déploré le fait que « le Nord–Pas-de-Calais pointe aujourd’hui au dernier rang des régions françaises pour l’emploi et l’espérance de vie, et à l’avant-dernier pour la recherche », dit que son objectif est de le « le faire entrer dans le top 5 des régions françaises ». La région d’à côté devient le concurrent, si ce n’est l’adversaire. L’autre versant de cette étrange compétition est la revendication systématique d’une communauté d’intérêts entre salariés et patrons à l’intérieur, non plus d’un même pays, mais maintenant d’une même région ! Qu’importe l’échelle, comme le dit le slogan : « intérêt général, intérêt du capital ».
Rien d’étonnant à ce que tous les conseils régionaux se soient jetés à corps perdu dans la politique des « pôles de compétitivité », lancés par le gouvernement fin 2004. Actuellement au nombre de 71, organisés sur une base géographique à l’intérieur des régions, ces pôles associent des grands groupes, des laboratoires et des PME sous-traitantes, dans des projets qui visent à spécialiser et sélectionner les programmes de recherche-développement en fonction des besoins de profitabilité du grand capital. Ils sont devenus aujourd’hui le principal vecteur des subventions accordées par les régions aux grands groupes.
L’un des enjeux de notre campagne sera bien de dresser, face à cette logique de concurrence et de compétition capitalistes exacerbées, un programme d’indépendance et de solidarité de classe.
Jean-Philippe Divès
1. L’accord général sur le commerce des services, qui organise la libre circulation des biens, services et capitaux à l’échelle mondiale.