Poussé par sa dynamique, le Rassemblement national comptait faire émerger des cadres locaux, opposants forts dans les départements et les régions voire dirigeant ces collectivités. Le RN, fragilisé par l’abstention de son électorat, va traîner son manque de crédibilité à pouvoir gérer des institutions. Mais le parti ne disparaît pas pour autant, ni surtout ses idées nauséabondes !
Le RN s’est présenté dans toutes les régions et sur 80 % des cantons (environ 3 000 candidats titulaires, souvent présents sur les deux scrutins). Ce maillage militant territorial n’est pas à sous-estimer. Même si le RN traîne sa difficulté à conserver des militantes... présentables. Comme à chaque élection, on « découvre » des propos racistes ou homophobes et la direction du RN fait mine de s’offusquer en retirant parfois les investitures aux plus craignos. Ces écarts à la « dédiabolisation » sont révélateurs du fonds idéologique du parti.
Ancré à l’extrême droite
La liste des candidats confirme toujours l’ancrage dans la nébuleuse des extrêmes droites : ici, une militante de l’Academia christiana, qui se veut « navire amiral » des catholiques tradi et identitaires ; là, un journaliste pilier du quotidien Présent, vieille figure solidariste passée par les milices phalangistes libanaises ; ailleurs l’ancien responsable du Renouveau français de Bourgogne ; et encore ailleurs, une proche du collectif « féministe » Nemesis, qui fête le solstice d’été avec une militante phare du Parti de la France… ajoutez à cela les liens avec la Cocarde étudiante, qui milite pour « une nouvelle droite étudiante », de nombreux candidats venus de Génération identitaire et quelques anciens de la vieille garde du FN qui persiste. Mais, c’est surtout un visage d’ouverture que le RN a cherché à montrer, une ouverture vers la droite « républicaine ».
Le RN espérait siphonner les Républicains et Debout la France, essentiellement grâce à la Droite populaire de Mariani et Garraud, et à l’Avenir français de Jean-Philippe Tanguy, avec le ralliement de quelques figures non marquées par le Lepénisme : commissaires en retraite, ancien préfet, homme d’affaire du cru, présentateur de LCI ou ex-syndicalistes. C’est par cette dynamique que Louis Aliot imagine la propulsion de Marine Le Pen vers la conquête du pouvoir. Les parachutages de dernière minute et les opportunistes accueillis avec tous les honneurs font grincer des dents en interne. Pour autant, le 17e congrès à venir du RN ne devrait pas chambouler la ligne du parti. Mais poussées par des sondages prometteurs, les velléités militantes du RN ont été quelque peu douchées par l’abstention.
Moins d’élus, mais…
Seule opposition en PACA, comme au précédent scrutin, mais tout juste premier opposant dans les Hauts-de-France, le Grand-Est, la Nouvelle-Aquitaine et l’Occitanie, le RN est relégué en Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Centre-Val-de-Loire, encore plus en Île-de-France, Bretagne, Normandie et Pays de la Loire. Ses élus régionaux baissent de 30 %, avec une réduction par deux en Auvergne-Rhône-Alpes et de plus de 40 % dans les Hauts-de-France ou les Pays de la Loire. En 2015, le FN obtenait 56 élus étiquetés binôme FN dans 14 départements, autant de notables locaux sur lesquels comptait Marine Le Pen. En 2021, ils se réduisent à 26, avec une perte de moitié dans le Pas-de-Calais, du tiers dans l’Hérault, et ils disparaissent même dans l’Aisne. Seules exceptions, ils passent de 4 à 6 dans le Vaucluse et 2 sont nouvellement élus dans le Tarn-Garonne (à Moissac, ville RN). Combien resteront en poste ? Entre 2015 et 2021, le RN a perdu plus de 25 % de ses conseillers régionaux... bonjour le sérieux du « parti de gouvernement ».
L’implantation des maires RN dans leur canton ne fonctionne pas partout, et notamment à Hayange et Perpignan... Mauvais point pour Louis Aliot qui se verrait bien vice-président par interim du RN. Le manque d’intérêt pour les collectivités territoriales et le rejet global de la politique politicienne jouent dans l’abstention manifestée pour cette élection. Mais rien n’indique que la sympathie portée sur un candidat d’extrême droite ne faiblisse. D’ailleurs, le cumul de voix portées sur ses binômes place le RN en tête dans le Pas-de-Calais, dans l’Aisne, l’Hérault, le Var et les Pyrénées-Orientales (même si Aliot ne gagne aucun élu).
Quelle « normalisation » ?
Le RN n’a pas plus mobilisé son électorat au second qu’au premier tour. Et les délires grotesque d’un Hervé Juvin (député européen et tête de liste en Pays de la Loire) sur Twitter n’y ont rien changé : « Ne pas voter c’est voter #Macron ! […] C’est voter pour une écologie qui remplace nos clochers par des éoliennes et des minarets ! » Certains candidats étaient partis sur les chapeaux de roue, comme Sébastien Chenu avec son « Chenu-bus » pour sillonner les Hauts-de-France. Là encore, tout cela ne se fait pas sans friction. Un jeune militant actif, par ailleurs proche des Identitaires, se plaignait sur les réseaux sociaux : « Nous, militants picards, passons après d’autres militants plus "privilégiés" ». L’incapacité à mobiliser les électeurs sème le trouble. Pourtant peu de voix osent critiquer, à part Agnès Marion, cadre lyonnaise, déjà en froid avec la direction. Un autre réputé proche de Marion Maréchal, Romain Lopez, maire et désormais conseiller départemental, propose une « introspection » mais craint que le congrès de Perpignan ne soit un « concours de celui qui applaudira le plus longtemps possible la présidente » (Valeurs actuelles).
De nombreux journalistes évoquent une « stratégie de normalisation ». Mais de quelle « normalisation » s’agirait-il ? Revenir sur la sortie de l’euro, déjà actée avant les Européennes, ou donner des gages aux marchés financiers pour le paiement de la dette, est-ce cela une édulcoration ? Il faut s’appeler Jean-Yves Le Gallou (ex mégretiste du Grece et du Club de l’horloge) pour voir, dans la prétendue « normalisation » du parti, sa « pasteurisation ». On a du mal à trouver quel candidat du RN aurait « gauchisé » son discours sur l’immigration et l’insécurité. La réalité de cette « normalisation », c’est plutôt la percolation du logiciel frontiste au-delà de ses rangs. Quoi qu’il en soit, la nécessaire mobilisation unitaire contre les extrêmes droites doit se saisir de cet instant de trouble pour taper un bon coup... et enchaîner une contre-offensive.