Le PCF participe à l’exécutif de 17 régions où il occupe 41 vice-présidences. Le fait que cela l’oblige à avaler l’ensemble de la politique du PS, couleuvres incluses, a souvent été souligné. On a moins posé la question : que font ces « ministres communistes » des gouvernements régionaux, dans leurs domaines de responsabilité ?
Le mieux est de prendre un exemple. La principale vice-présidence détenue par le PCF dans la région la plus peuplée et la plus riche, disposant du budget le plus élevé, au plus près des centres de pouvoir, et où ce parti reste encore assez implanté, ne peut que traduire une logique globale, des choix politiques généraux. C’est sous cet angle que l’on peut considérer le bilan de Daniel Brunel, chargé de l’action économique en Île-de-France depuis 1998, ainsi que de la formation professionnelle et de l’apprentissage depuis 2004.
« Un véritable mode de formation alternatif…»
Une brochure de présentation au public des actions de la région, intitulée Au cœur de l’Île-de-France et datée de janvier 2009, annonce la couleur : « Le conseil régional a fait de l’apprentissage une de ses grandes priorités. Cet investissement est le fer de lance de la politique régionale en faveur de la formation professionnelle et du développement économique de l’Île-de-France. L’apprentissage, en effet, est un véritable mode de formation alternatif à l’enseignement classique. Diplômant et rémunéré, il donne aux jeunes des atouts pour intégrer le monde de l’entreprise. »
Comme partout ailleurs, les 178 centres de formation d’apprentis (CFA) d’Île-de-France sont en grande majorité privés, gérés par les chambres de métiers et d’artisanat, de commerce et d’industrie, ou par des organismes ad hoc émanant de divers syndicats patronaux. Surexploités, corvéables à merci, les jeunes y sont formés, ou plutôt formatés, pour répondre aux besoins immédiats du patronat. Et c’est une majorité de gauche, c’est un responsable du PCF qui se font de façon si dithyrambique les avocats de ce mode de formation, alors même que l’enseignement professionnel public est saccagé !
Lorsque la gauche a pris les rênes de cette région, en 1998, on y dénombrait 52 000 apprentis. Dès son premier document de bilan, correspondant à son premier exercice partiel, la nouvelle majorité se vantait que « durant l’année 1998, la capacité d’accueil des CFA a été augmentée de 5 690 places. » Au cours des années suivantes, le rythme de croissance de l’apprentissage est toutefois resté, selon elle, insuffisant. C’est la raison pour laquelle, le 8 novembre 2005, le conseil régional a adopté un « contrat d’objectifs et de moyens relatif au développement de l’apprentissage », qui se proposait de « porter le nombre de jeunes dans les CFA de 71 300 aujourd’hui à 100 500 en 2009-2010 ».
Par la suite, cet objectif a été réaffirmé chaque année, avec le soutien sans faille du groupe du PCF et de ses alliés. Pour 2010, c’est à Michèle Valladon, récente transfuge du PS au PG, que la tâche a échu. Elle a ainsi pu se féliciter : « Quant à l’apprentissage : cela a été dit, l’objectif des 100 000 apprentis est en passe d’être atteint, et ce, malgré le contexte de crise et donc une certaine frilosité des employeurs à recruter des apprentis (…) Il nous paraît important de maintenir l’investissement régional aussi bien pour les aides aux apprentis, le financement des CFA, le soutien aux employeurs. Il faudra sur le prochain mandat de nouvelles actions pour consolider l’apprentissage. » Précisons que « les aides aux apprentis » s’élèvent à 14 petits millions d’euros, le reste des 329 millions de ce budget allant au financement des CFA et aux subventions aux patrons.
« De nombreuses aides aux PME »
Dans un texte de bilan de sa mandature publié en décembre 2009, Daniel Brunel affirme que « la région n’accorde aucune aide aux grands groupes (sauf dans les pôles de compétitivité), mais de nombreuses aides aux PME ». Cette présentation pour le moins ambiguë appelle plusieurs remarques. La première est qu’on ne parle ici que des subventions directes – sous forme de chèques aux entreprises –, pas des multiples aides au patronat qui sont indirectes ou collectives. En second lieu, on doit remarquer que la PME étant définie comme une entreprise employant moins de 250 salariés et réalisant un chiffre d’affaires de moins de 50 millions d’euros, cette catégorie inclut déjà nombre de sociétés substantiellement capitalistes. Enfin, il est difficile de comprendre pourquoi il serait plus admissible de subventionner les grands groupes (dont beaucoup, dans le même temps, licencient : Thalès, Alcatel-Lucent et autres) quand c’est fait dans le cadre des pôles de compétitivité…
Tout au plus la méthode est-elle plus discrète, dans l’affichage public comme dans les présentations comptables. Est-ce la raison pour laquelle les autres aides directes aux grands groupes ont été abandonnées ? Est-ce qu’avec la montée du sentiment anticapitaliste, cela devenait trop voyant ? Toujours est-il que de 1998 à 2005, le vice-président communiste avait octroyé nombre de subventions de ce type. Une des dernières en date, délivrée au géant EADS, avait d’ailleurs suscité des remous.
Exemple d’un « investissement » pour « défendre l’emploi »
Le site EADS des Mureaux (Yvelines), Astrium Space Transportation, qui co-produit les lanceurs de la fusée Ariane et les missiles nucléaires français, employait il y a cinq ans environ 2 000 salariés. En juin 2004, quelques mois après l’annonce de 219 suppressions de postes, et après déjà deux, plans sociaux en 2002 et 2003, tombait un plan de 130 licenciements. C’est le moment que choisit le conseil régional pour accorder (le 23 septembre 2004) à cet établissement une subvention de 1 million d’euros, complétée par un autre million venant du conseil général des Yvelines. Il s’agissait de participer à un programme destiné à « renforcer l’activité composites » pour « sauvegarder la centaine de postes que (cette) activité génère » et « permettre, à terme, son accroissement et celui du nombre d’emplois associés ». EADS s’engageait à maintenir les 100 emplois du (seul) département « composites » de l’usine et à générer « à terme » 40 autres emplois associés à cette activité, ainsi qu’à réaliser effectivement son investissement dans ce secteur (7 millions d’euros).
Dans le même temps, les suppressions d’emplois ont cependant continué, globalement au niveau du groupe mais aussi dans d’autres divisions de la même usine des Mureaux. En 2007, dans le cadre du plan de restructuration « Power 8 », 330 nouvelles suppressions de postes, étalées sur trois ans, ont été annoncées sur le site.
Le 8 septembre 2004, Daniel Brunel avait tenu une conférence de presse, destinée à présenter les grandes lignes de son action en cours et à venir. Dans son discours, il assurait que les fermetures de sites et les licenciements étaient inacceptables et annonçait que le conseil régional avait décidé de réagir vigoureusement. Cette réaction, précisait-il, prenait la forme d’interventions audacieuses dans quatre dossiers : Tati, Facom, SKF et EADS. Chez Tati, le conseil régional était « à l’écoute des salariés et de leurs organisations syndicales », et restait « disponible » pour étudier ce qui pouvait être fait. Idem pour Facom (fabricant d’outillages qui licenciait et délocalisait), où la région avait financé une étude « confirmant la viabilité » d’un « projet alternatif ». Dans les deux cas, rien d’autre n’a suivi. S’agissant de SKF, la région avait co-élaboré et cosigné des conventions pour aider les salariés licenciés à se reclasser et pour réindustrialiser le site fermé de Thomery (Seine-et-Marne). Mais l’action la plus avancée, soulignait le vice-président, était de loin celle concernant EADS, puisque la région y avait « investi un million d’euros » afin de « défendre l’emploi » !
À ce sujet, il affirmait : « la région a obtenu (…) que toute restructuration ayant un impact négatif sur l’emploi entraînerait la suspension de la convention et la demande de remboursement des subventions octroyées. » Malgré les restructurations et licenciements qui se sont poursuivis sur le site des Mureaux, le conseil régional n’a formulé aucune demande de remboursement. Comme il ne l’a fait, depuis 1998, dans aucun autre dossier.
Jean-Philippe Divès