Les éditions Textuel sortent une nouvelle collection, Petite Encyclopédie critique, avec quatre premiers titres. Philippe Corcuff et Lilian Mathieu, animateurs de la collection, nous la présentent.
Quelle est votre démarche avec cette collection ?
Philippe Corcuff
Avec Daniel Bensaïd, on co-animait déjà chez Textuel, La Discorde, une collection d’essais qui mélangeait beaucoup de choses : certains livres développaient un type de point de vue critique, d’autres étaient ouverts sur la pluralité des courants radicaux, pas seulement marxiste, et d’autres encore proposaient des synthèses... Cela donnait une certaine hétérogénéité à la collection. On a envisagé quelque chose de plus ciblé qui correspondrait à un public qu’on rencontrait dans les universités populaires de Lyon et Nîmes, qui a une sensibilité critique et donc une demande de synthèse critique, plutôt que tel ou tel point de vue. Ce genre de livres existait dans les années 1970, mais cela s’est un peu perdu.
On sait que globalement les personnes consacrent moins de temps à la lecture et ne vont pas se jeter sur la pluralité des références, mais c’est aussi vrai dans les milieux militants.
Au NPA, il existe également une demande de repères, d’autant qu’ils sont à la fois plus divers qu’à la LCR, moins stables, et parfois moins nombreux. Lors de la première Université d’été du NPA, la librairie La Brèche vendait toujours autant de livres, mais c’était en majorité des ouvrages courts. Cela tient à ce que le public est plus populaire, moins habitué à la lecture.
On a choisi comme titre Petite Encyclopédie critique avec l’idée que les gens pourraient dans quelques années avoir tous les livres et que cela ferait office d’encyclopédie radicale.
Lilian Mathieu
Le principe de la collection, c’est de faire la synthèse des connaissances et des points de vue sur un thème, relativement pertinent pour des gens qui ont une humeur critique, un intérêt pour différents thèmes d’actualité ou politiques, sans nécessairement avoir un engagement très fort. On voulait qu’il y ait à la fois une synthèse, mais aussi qu’une approche personnelle soit développée dans l’ouvrage. On avait pensé à un équilibre de deux tiers du livre pour la synthèse des connaissances ou des points de vue sur un sujet et un tiers consacré à la défense du point de vue argumenté de l’auteur.
Un enjeu de la collection est d’être une première étape, pour aller plus loin si on est pris par le sujet.
Philippe Corcuff
Les auteurs sont de jeunes chercheurs ou des militants cultivés dans leur domaine. Ils s’adressent à un public critique, militant ou sympathisant qui s’intéresse déjà à la lecture, qui accepte de faire un effort pour rentrer dans un livre. En revanche, on voulait que le prix reste abordable, inférieur à 10 euros.
Il s’agit d’outils pédagogiques qui ouvrent des pistes. Il y a une dimension de recherche dans les livres et on sort de la lecture avec un nouveau point de vue. Ce n’est pas seulement de la vulgarisation. L’idée, c’est d’associer vulgarisation et recherche dans un format court.
Comment avez-vous choisi les premiers thèmes ?
Philippe Corcuff
La priorité était de publier un livre sur le capitalisme.
Lilian Mathieu
C’était une question centrale qu’on retrouve au NPA puisqu’il est anticapitaliste, elle a donc la force de l’évidence, mais qu’est-ce que le capitalisme ? Ce n’est peut être pas aussi clair que ça. Il existe aussi des effets d’évidence du capitalisme comme seul horizon possible économique. Cela valait la peine de revenir sur cette notion de base qui nous – au NPA – nous constitue puisqu’on se définit contre, mais également qui tend à aller de soi, même si c’est moins le cas avec la crise.
Philippe Corcuff
Dans la phase de constitution du NPA, je me rappelle de quelqu’un qui est intervenu à une réunion dans le Gard en disant : « je suis propriétaire de ma maison, est-ce que je suis capitaliste ? Et est-ce que je peux être dans un parti anticapitaliste ? » Le capitalisme peut être une notion floue pour beaucoup de sympathisants.
On voulait aussi un titre sur l’écologie, comme une des questions prioritaires, d’où le livre sur la décroissance.
Un des titres traite des années 1970. C’est important d’y revenir ?
Lilian Mathieu
C’est né du 40e anniversaire de Mai 68. Même si le bouquin n’en traite pas directement, car beaucoup de livres sont sortis à l’occasion, il y a l’idée que les années qui ont suivi Mai 68, toute cette vague contestataire dans les année 1970, appartenaient à un passé totalement révolu. Mai 68 est souvent vilipendé, alors que les années 1970 sont folklorisées. Le ridicule est une autre manière de disqualifier et de renvoyer dans le passé : on n’a plus rien à voir avec ça. Cela existe dans les médias, dans la pub où on va par exemple tourner en ridicule les modes vestimentaires ou capillaires, mais cela s’est aussi fait par un certain nombre de théories qui ont tendu à dépolitiser cette vague contestataire. Mais les gens qui se sont formés au cours des années 1970 sont toujours au cœur des luttes. Et les thèmes portés : conditions de travail, immigration, violences sexistes, discriminations, écologie, sont toujours d’une brûlante actualité. C’est un héritage qu’il faut se réapproprier y compris avec un regard critique, mais c’est un héritage dont on n’a pas à être honteux.
Philippe Corcuff
Notre propos, c’est aussi d’instiller des petites choses critiques par rapport aux préjugés qui existent dans la galaxie critique et radicale. Par exemple, soit une mythologie trop forte des luttes des années 1970 ou au contraire l’idée que c’est dépassé...
Pour ce qui est du livre d’Irène Pereira, Peut-on être radical et pragmatique ?, on a l’habitude de penser que ce sont des notions opposées. Alors, on a fait appel à une jeune sociologue militante anarchiste du groupe Alternative libertaire qui essaie de reconstituer, à travers les débats entre anarchistes, entre Proudhon, Marx, Bakounine, puis ceux des luttes aujourd’hui dans les mouvements sociaux, des articulations entre ce qu’on appelle radical et pragmatique. C’est une mise en cause de la structure de la société mais en même temps un rapport à l’action qui n’oublie pas la question de l’efficacité. Cela vise à déplacer certains préjugés : il y aurait les gens radicaux qui n’auraient aucun effet sur le monde et les pragmatiques qui seraient investis dans les élections, les institutions, mais qui ne seraient pas radicaux.
Existe-t-il un lien entre la constitution du NPA et la création de cette nouvelle collection ?
Lilian Mathieu
La création du NPA amène à se poser des questions qui trouvent des tentatives de réponses dans la collection, c’est-à-dire l’arrivée de nouveaux militants dont les références sont plus hétérogènes. Il y a une demande de références au NPA, mais aussi plus largement, dans ce public critique qu’on retrouve dans les luttes, notamment depuis le renouveau des luttes en 1995 qui sont confrontés dans leurs pratiques et réflexions militantes à des interrogations auxquelles essaie de répondre la collection.
Philippe Corcuff
De la même manière que la Société Louise-Michel ou Contretemps, sans être directement le NPA, la collection accompagne le renouveau de ce courant anticapitaliste dans un sens pluraliste. Et tous les deux, les animateurs de la collection, on est membres du NPA et ce n’est pas masqué. Sur les quatre premiers livres, deux des auteurs militent au NPA. Mais on essaie d’élargir. Stéphane Lavignotte auteur de La décroissance est-elle souhaitable ? était responsable des jeunes Verts, maintenant il n’est plus dans aucun parti, mais il est toujours militant écolo-libertaire et par ailleurs, pasteur dans le 18e arrondissement. Quant à Irène Pereira, elle est sociologue, elle a fait sa thèse avec Luc Boltanski et milite à Alternative libertaire. Il existe un axe NPA dans cette collection, pas dans un rapport de subordination à cette organisation ni d’exclusivité, mais comme point de départ.
Quels sont les prochains titres en projet ?
Philippe Corcuff
Notre objectif est de sortir entre six et huit livres par an, en deux fournées, la première en février et l’autre en septembre. Les prochains thèmes abordés seront les questions d’homophobie et de discrimination des homos (qui sortira peut-être au moment de la Gay pride), un livre sur le b-a ba philosophique de la politique, un autre sur l’économie sociale et solidaire et enfin un livre sur l’argent : L’argent pourrit-il tout ?
Il est important de noter que les auteurs sont disponibles pour animer des débats dans les comités NPA et que les éditions Textuel acceptent de prendre en charge leurs voyages. Il faut donc que les comités s’emparent de cette occasion.
Pour cela il suffit d’envoyer une demande sur le mail : eve.bourgois@editionstex…
<!-- @page { margin: 2cm } P { margin-bottom: 0.21cm } -->
Livres :
Stéphane Lavignotte, La décroissance est-elle souhaitable ? 140 pages
Cédric Durand, Le capitalisme est-il indépassable ? 142 pages
Irène Pereira, Peut-on être radical et pragmatique ? 141 pages
Les années 70, un âge d’or des luttes ? 9,90 euros. 140 pages