Après avoir brossé le panorama du tourisme associatif et des tendances lourdes qui ont présidé à son évolution au cours des dernières décennies, Sylvain Pattieu retrace ce que fut la trajectoire de Tourisme et Travail (TT), association de « tourisme populaire » liée à la CGT et bien connue des militants syndicaux élus dans les comités d’entreprise (CE).
L’un des intérêts de l’étude est la mise en valeur de la complexité de Tourisme et Travail, objet difficile à identifier, notamment parce qu’il se situe à l’intersection de plusieurs domaines: le tourisme social, l’éducation populaire et le syndicalisme. Sans compter les interférences avec les activités marchandes. Et, bien sûr, avec… la politique : l’âge d’or de Tourisme et Travail recoupe assez largement celui de la contre-société organisée autour du PCF. Contre-société dont la CGT, par ailleurs « tutrice » de TT, était une pièce maîtresse…
Nombreux exemples à l’appui, l’auteur montre bien en quoi ces connexions multiples constituent l’originalité de Tourisme et Travail mais aussi, sans doute, des éléments de faiblesse à l’origine de la disparition de l’association qui, après 40 ans d’existence, est déclarée en cessation de paiement, en juillet 1985. Pas facile, en effet, d’être à la fois un prestataire de services touristiques en concurrence avec des entreprises et des agences, un mouvement revendicatif à la légitimité moindre sur ce terrain que le syndicat, un acteur de l’éducation populaire dont le « public » s’avère, finalement, moyennement réceptif à « l’idéal culturel » de Tourisme et Travail… Alors que l’association insiste sur la nécessité de promouvoir des loisirs utiles, qui « enrichissent l’esprit » et émancipateurs sur le plan culturel, les vacanciers TT aspirent principalement au repos et semblent surtout apprécier des « animations » fort semblables à celles offertes par les centres de vacances du secteur marchand. On retrouve les mêmes contradictions à propos des voyages et séjours à l’étranger : outre la spécificité que constitue alors l’offre de voyage en direction des « pays socialistes », Tourisme et Travail ambitionne également la construction de rapports « différents » – de ceux développés par les agences et autres tours operators – entre touristes et populations des pays visités. Mais, au final, le résultat n’est pas très différent : ce sont le soleil et les plages du bassin méditerranéen qui sont plébiscités !
Autant de tensions qui vont accompagner les différentes phases de l’évolution de TT : développement très syndical et associatif dans les années 1960 ; professionnalisation des structures et du personnel au détriment des militants et des bénévoles dans les années 1970 ; recrutements peu maîtrisés et optimisme outrancier quant aux perspectives de développement du tourisme social après la victoire de l’Union de la gauche au début des années 1980. Jusqu’à la chute finale, lorsque la gauche de gouvernement décide de substituer aux subventions à la construction d’infrastructures collectives les « aides à la personne », mettant brutalement en concurrence complète (avec le secteur marchand) le tourisme social et associatif, qui ne bénéficie plus d’aucune « clientèle captive »…
En passant, l’histoire de Tourisme et Travail – comme, d’ailleurs, celle des autres associations de tourisme liées à la CFDT ou à FO, également évoquées dans l’ouvrage – relativise beaucoup les bavardages sur le « syndicalisme de services » que n’aurait pas su mettre en œuvre le syndicalisme français, à la différence de ses congénères européens. En fait, via le réseau – et les ressources financières – des comités d’entreprise, le mouvement syndical français a tenté – de la Libération au milieu des années 1980 – une prise en charge partielle des loisirs et des vacances des salariés. L’objectif était double… et non dénué d’ambiguïté : permettre aux travailleurs d’avoir accès à des vacances autrefois apanage des classes dominantes. Et, aussi, les faire bénéficier de vacances « différentes » parce que conçues et gérées par les travailleurs eux-mêmes. Là, l’étude universitaire dépasse son objet originel et interpelle forcément ceux et celles qui sont attachés à l’émancipation. Les classes populaires sont-elles capables de se doter d’organisations, voire d’institutions, autonomes aptes à prendre en charge (une partie de) leurs propres conditions d’existence ? Ou bien sont-elles condamnées à se mouler dans le système dominant, en en caricaturant les aspects les plus aliénants ? Rude interrogation…
François Coustal
Tourisme et Travail. De l’éducation populaire au secteur marchand (1945 – 1985). Sylvain Pattieu, 2009, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques. 30 €