Intervention de Jean-Marie Sala, dirigeant de la Fédération Sud-santé-sociaux au colloque « Conquêtes inachevées : la santé des femmes face aux inégalités de genre » organisé par la cadac le 5 décembre 2009 à Paris.
Contrairement à ce qu’a pu déclarer notre président de la République, l’hôpital ne souffre pas d’absence de réformes mais au contraire d’un trop plein, une nouvelle réforme étant lancée alors que la précédente n’est pas terminée et encore moins évaluée.
En moins de vingt ans, pas moins de cinq réformes, qui vont toutes dans le même sens, à savoir une réduction et une privatisation rampante de l’offre de soins publique. Nous parlons d’ailleurs de contre-réformes car elles sont régressives. Elles ont accéléré les restructurations et les fermetures d’hôpitaux et de petites maternités tout en faisant rentrer le privé commercial dans les hôpitaux publics.
Durant cette période la pénurie médicale et infirmière a été organisée, notamment pour certaines disciplines avec l’instauration de quotas de formation, les fameux « numérus clausus », afin de faciliter l’acceptation des fermetures d’hôpitaux faute de médecins ou d’infirmières.
Depuis une dizaine d’années, on assiste donc à la suppression de dizaines de structures et de milliers de lits d’hospitalisation. La plupart des maternités n’effectuant pas 300 accouchements ont fermé, mais c’est aussi le cas de maternités plus importantes. En mai dernier, la maternité d’Ivry-sur-Seine a fermé alors qu’elle en effectuait plus de deux mille.
Dans de nombreuses villes aujourd’hui, il n’y a plus d’offre de santé publique en maternité et chirurgie. L’éloignement des structures publiques des populations, et en particulier des plus défavorisées, aggrave l’inégalité d’accès aux soins, notamment aux soins précoces.
La destruction du service public hospitalier est en marche
La loi Hôpital patients santé territoires (HPST), plus connue sous le nom de loi Bachelot, promulguée au début de l’été 2009 n’est pas encore appliquée, et pourtant nous constatons depuis quelques semaines une accélération des annonces de fermetures et de restructurations d’hôpitaux, beaucoup de directions anticipant sur son application, sans doute pour apparaître les « bons élèves » de la réforme.
Cette loi d’inspiration très libérale parachève un ensemble de dispositions législatives, qui peu à peu détricotent notre système de santé publique et rentre en totale cohérence avec la politique de révision générale de la politique publique menée actuellement par le gouvernement.
L’annonce récente d’un projet d’arrêté prévoyant la fermeture de 182 blocs opératoires effectuant moins de 1 500 interventions par an est significative d’une volonté de se donner tous les outils pour accélérer la fermeture rapide de nombreux établissements, alors que les seuils d’activité ne peuvent être le seul critère de qualité.
Fermer un bloc opératoire, c’est aussi fermer le service de chirurgie, l’anesthésie, la stérilisation, bien souvent la maternité et pour en finir dans le meilleur des cas transformer l’hôpital en établissement de rééducation, de soins de suite ou de gériatrie. Bien évidemment, s’il y avait un service d’IVG, il disparaîtra dans la foulée très discrètement.
Autre volet de la loi Bachelot, et non des moindres, l’achèvement de la mue de l’hôpital public en entreprise de type commercial avec la transformation des conseils d’administration en commissions de surveillance, des conseils exécutifs en directoires, et la nomination d’un directeur qui devra appliquer un contrat d’objectifs et de moyens, et comme l’a répété notre président de la République, qui sera dorénavant le seul « patron », parfois issu du secteur privé.
Le conseil d’administration pouvait bloquer un budget, imposer le développement de telle ou telle activité, ce que ne pourra faire un conseil de surveillance qui n’aura qu’à contrôler la conformité de l’activité par rapport aux objectifs fixés. Dans ce conseil, les élus de la population locale, les représentants des médecins et des personnels seront minorés et les représentants des usagers seront désignés par le directeur de l’Agence régionale de santé, souvent représentants d’associations inféodées aux pouvoirs publics.
Chaque chef de service ou de pôle devra négocier avec son directeur un contrat d’objectifs et de moyens et devra le respecter, d’où un risque certain de sélection de patients, chacun ayant tendance à refuser les prises en charge les plus coûteuses, car en plus il est instauré une part de rémunération liée au résultat financier.
Le patient ignoré, seul l’acte compte !
C’est le point central des dernières réformes : la modification du financement des hôpitaux par la généralisation de la tarification à l’activité, ce qui peut apparaître à première vue comme une solution de bon sens, mais qui en réalité est une arme de guerre contre le service public.
Dans la tarification à l’activité, sont prises en compte les pathologies traitées et non le patient dans sa globalité. Comme l’hôpital traite les patients de toutes conditions contrairement aux cliniques commerciales, les coûts sont forcément plus élevés car les patients soit plus âgés, soit de condition sociale dégradée ont en général besoin de soins plus importants et de durées de séjour longues.
La tarification à l’activité privilégie les actes techniques (opératoires, imagerie) au détriment de la prise en charge globale. Le Pr Grimaldi, diabétologue et figure emblématique des praticiens hospitaliers contre la loi HPST, donne souvent comme exemple, très parlant, la prise en charge d’un diabétique ayant des complications circulatoires et pour lequel il est plus rentable d’amputer un membre que de le traiter pour rééquilibrer son diabète.
C’est la transposition à l’hôpital du paiement à l’acte en médecine de ville qui a pourtant démontré les effets pervers de la multiplication des actes parfois inutiles.
Résultat, aujourd’hui, plus des deux tiers des hôpitaux publics et parapublics sont en déficit et doivent appliquer des plans drastiques de retour à l’équilibre qui se traduisent par des fermetures et regroupements de service et des suppressions massives d’emplois.
Par contre, les cliniques commerciales qui réalisent des opérations à la chaîne arrivent à faire des bénéfices, parfois de manière abusive. L’augmentation du nombre d’opérations de la cataracte, d’appendicites ou encore de césariennes dans certaines cliniques bien au-delà des critères communément admis, démontre les effets pervers de cette tarification.
Les centres d’IVG dans le collimateur…
Dans ce contexte, les centres d’IVG sont particulièrement fragilisés, car considérés comme coûteux.
Au-delà de l’insuffisante valorisation de l’acte d’IVG, c’est la non-reconnaissance de l’activité d’accueil, d’information contraception et de suivi des femmes qui est aussi en cause.
Il faut que nous soyons vigilants pour que de véritables centres IVG et de contraception existent partout et soient accessibles à toutes les femmes. Il y a un vrai risque que la loi soit appliquée a minima, notamment dans le public avec le regroupement de centres qui seront surchargés et ne pourront respecter les délais légaux, laissant sur le bas côté les mineures, les femmes les moins informées.
Face à ce rouleau compresseur, des résistances s’organisent et doivent s’élargir
La réaction de nombreux praticiens et chefs de service à l’APHP (Assistance publique - hôpitaux de Paris) qui menacent de démissionner collectivement de leur poste si les moyens de l’hôpital sont amputés est salutaire. Un certain nombre d’entre eux ont créé le mouvement de défense de l’hôpital public. Par ailleurs, le développement des comités locaux de défense des hôpitaux et maternités de proximité (plus de 200 aujourd’hui) est aussi remarquable.
Pourtant le temps nous est compté !
Il nous faut construire rapidement un mouvement national pour la défense de l’accès aux soins, ainsi que la Sécurité sociale solidaire, car les attaques s’accélèrent partout !
Nous sommes dans une période charnière.
Les coups de boutoir successifs nous font basculer dans un autre système, remettant en cause les acquis de la Libération, sans le dire et surtout sans débat citoyen, alors qu’il s’agit d’un sujet de civilisation.
Il est urgent de réagir, tous ensemble !