Entretien avec Miguel Romero Baeza
Entre le 14 et le 17 mai s’est tenu le 4e sommet des peuples « Enlazando Alternativas » (Tissons des alternatives), initiative birégionale Union européenne/Amérique latine, à laquelle a participé une délégation d’une trentaine de militants du NPA, venus de toute la France. Cette rencontre représente un début de réponse collective au sommet des chefs d’État UE-Amérique latine (qui s’est déroulé à partir du 18 mai), avec pour drapeau commun une opposition à l’Europe du capital. Durant deux jours, au travers de 80ateliers et du Tribunal permanent des peuples, 2 500 militantes et militants associatifs, politiques et syndicaux venus des deux côtés de l’Atlantique et représentant plusieurs centaines d’organisations ont dénoncé le rôle de l’Union européenne et de ses transnationales dans l’exploitation des territoires, ressources et populations des Amériques indigènes, « latines » et afro-américaines. Le samedi 15 mai, la Gauche anticapitaliste (Izquierda anticapitalista), organisation « sœur » du NPA en Espagne, a organisé un important meeting internationaliste et c’est une manifestation unitaire et combative ponctuée d’un appel à la grève générale qui a couronné les travaux du sommet. Nous revenons sur cet événement avec Miguel Romero, dirigeant de la Gauche anticapitaliste, éditeur de la revue Viento Sur1 et membre de la coordination européenne d’Enlazando Alternativas.
Comment s’est passé le sommet des peuples de Madrid dans la conjoncture actuelle de la crise du système capitaliste, en particulier au sein de l’Union européenne ?
M. R. Baeza - La coïncidence entre l’aggravation de la crise dans l’Union européenne (UE), en particulier après l’explosion de la Grèce, et le « semestreespagnol » a enlevé toute crédibilité au discours de Zapatero sur le thème de « l’Europe sociale, écologique et pacifique », et a en même temps contribué à radicaliser encore plus l’approche politique du Sommet alternatif dans un sens anticapitaliste. Je dis « encore plus » car dès le début de la campagne, à la fin de l’année dernière, l’orientation était claire, tant par le slogan général adopté : « Contre l’Europe du capital, la guerre et ses crises », que par l’appel signé par une centaine d’organisations sociales et politiques de l’État espagnol, enfin aussi par le logo, qui est devenu le logo officiel, avec le sigle de l’UE écrit en fil de fer barbelé, sur un fond aux couleurs du drapeau espagnol. De même, le choix du thème du travail par le Tribunal permanent des peuples, qui a été l’une des activités les plus importantes du sommet alternatif, a été fait pour remettre en cause la responsabilité des institutions et des gouvernements de l’UE dans leurs attaques sociales et écologiques contre les peuples d’Amérique latine. Enfin, la sentence du Tribunal et la déclaration adoptée par l’Assemblée des mouvements sociaux confirment cette orientation2.
Cela dit, on doit s’interroger sur l’influence de ces forums sur le moyen terme, sur leur capacité à renforcer les résistances et des alternatives concrètes débattues dans les ateliers et adoptées avec enthousiasme dans les déclarations. Je pense que la question mérite une réflexion : il semble que le seul engagement issu de ces forums soit de se réunir encore dans de nouveaux forums, ici ou là. Il faut surmonter cette situation ou nous finirons par épuiser un outil qui a été très utile ces dernières années, dans la lutte contre ce qu’on appelle la « mondialisation néolibérale ».
Les négociations et les accords en cours entre les pays de l’Amérique et l’Union européenne contribueront-ils à surmonter la récession qui frappe le capitalisme ?
Pas du tout. Les traités qui ont finalement été approuvés lors du sommet avec la Colombie, le Pérou et l’Amérique centrale, ont pour objectif central l’ouverture des marchés de ces pays aux multinationales européennes. Cette ouverture aura des conséquences positives pour les profits de ces entreprises, en particulier espagnoles qui ont déjà des positions fortes dans la région, et aura des conséquences négatives pour les peuples, en particulier pour ce qui est de la qualité et des prix des services sociaux de base. Mais l’impact économique global sera très faible. Les négociations qui ont été rouvertes avec le Mercosur peuvent aboutir à un plus grand volume d’affaires et avoir des implications plus fortes au sein de l’Union européenne, en particulier dans l’agriculture, mais toujours à un niveau marginal en ce qui concerne les questions de fond provoquées par la crise capitaliste. Je pense que les répercussions politiques peuvent être plus importantes que les conséquences économiques. Il y a déjà de fortes protestations populaires dans de nombreux pays d’Amérique latine, contre « les nouveaux conquérants », nom donné à juste titre, aux multinationales espagnoles. Il semble probable qu’à l’avenir ces manifestations se généralisent et s’étendent : l’image de l’UE comme un « partenaire amical et coopératif » a perdu toute crédibilité. Ce type de conflits post-coloniaux sera très important dans un avenir immédiat, et pas seulement en Amérique latine. C’est pourquoi les expériences de solidarité birégionale comme « Enlazando Alternativas », qui a déjà des années d’expérience et qui jouit d’une certaine stabilité, peuvent être extrêmement utiles si elles acquièrent une capacité d’action concrète.
Comment le mouvement social espagnol ressent-il les tentatives d’imposer des traités et des accords entre l’UE et les pays d’Amérique latine et des Caraïbes ?
Il existe une sensibilité très forte mais encore minoritaire. Précisément un des objectifs de la campagne que nous avons réalisée avec ce sommet alternatif a été d’augmenter l’intérêt pour ces thèmes et pour les initiatives de solidarité. Jusqu’à présent, quand par exemple nous avons organisé des actions de protestation contre des multinationales espagnoles, comme Repsol ou Telefónica, y compris quand nous avons dénoncé des meurtres de dirigeants syndicaux ou communautaires, nous avons seulement mobilisé un secteur militant, très engagé, mais avec une faible capacité d’influence. Nous allons voir ce qui va se passer à partir de maintenant. La campagne a atteint un degré d’unité assez important, et a inclus, heureusement, des organisations politiques. Nous avons parfois subi des vétos absurdes contre notre participation à des forums sociaux, alors que nous avons largement prouvé notre loyauté vis-à-vis du travail unitaire. Nous ferons une réunion d’évaluation début juin. Il serait très positif que nous trouvions une forme de continuité, sur des thèmes spécifiques, dont certains sont déjà en cours, comme la défense des droits humains en Colombie, la solidarité avec la résistance hondurienne… – et d’autres d’actualité particulière, par exemple, la lutte contre le changement climatique, en s’appuyant sur les éléments les plus intéressants du Sommet de Cochabamba.
Quelle est la position des syndicats de l’État espagnol par rapport aux traités ?
Les syndicats, en particulier ceux qui sont majoritaires (CCOO – Comisiones obreras – et UGT – Unión general de los trabajadores), mais aussi ceux considérés comme plus à gauche, limitent leurs activités à des actions de solidarité contre la répression des militants syndicaux. Cela dans le meilleur des cas. Parfois ils se contentent de diffuser des communiqués, et parfois même pas, comme lors de l’assassinat récent de Betty Cariño et Jyry Jakkola à Oaxaca. Quand il s’agit de dénoncer les activités internationales de « leurs » entreprises, les syndicats n’existent plus. L’une des manifestations les plus graves du recul de la conscience de classe est le déclin de la solidarité internationale. L’idée que l’on défend les emplois tout en acceptant les politiques patronales, y compris quand elles causent des dommages sociaux, syndicaux et écologiques dans d’autres pays est, à moyen terme, suicidaire. Au contraire, la solidarité internationale n’est pas seulement un devoir moral, mais un facteur nécessaire pour gagner le rapport de forces face aux entreprises qui sont très bien organisées au niveau international. Nous avons là l’un des défis à relever dans les prochaines années.
Quelles solidarités avec les résistances latino-américaines et caribéennes pourrons-nous organiser en Europe ?
Je crois qu’il est nécessaire de combiner des réseaux efficaces de communication et d’action. Il s’agit d’être bien informés, de diffuser l’information aux « peuples de gauche » et de prendre des initiatives concrètes, même si elles sont minoritaires. Il y a une pression constante pour oublier ces questions, qui finissent par sembler lointaines dans une période où les problèmes proches sont très graves. Mais l’empreinte sociale et écologique de l’Union européenne sur le monde est de plus en plus agressive ; nous devons donc lutter pour que l’intérêt pour ces questions fasse partie intégrante des thèmes d’action de la gauche « alternative » et anticapitaliste.
Propos recueillis par le Groupe de travail « Amériques latines » du NPA
2. Voir le site www.enlazandoalternativa….
Voir également la vidéo du NPA : www.npa2009.org/npa-tv/a…