Fin avril le conseil national du Parti socialiste a adopté un texte qui semble marquer un tournant vers la gauche. Au-delà des manques de ce document, on peut néanmoins se demander quelle crédibilité lui accorder.
Le diagnostic ? « Cette crise correspond en réalité à la faillite d’un système dominé par le capitalisme financier qui a laissé s’accumuler, depuis une trentaine d’années, de profonds déséquilibres économiques, sociaux, humains et écologi–ques. » L’analyse de la politique de la droite ? « Les fausses solutions des droites libérales et conservatrices aggravent la crise actuelle et préparent des crises futures (…) Leurs politiques s’inscrivent dans le cadre qui a conduit aux difficultés actuelles au lieu de le remettre en cause ». Les objectifs ? « ne pas laisser le financement de l’économie au seul marché », « la justice plutôt que la captation des richesses par une minorité ». Les moyens ? « le développement, l’extension et la défense des ‘communs’, ces biens et espaces collectifs accessibles à tous et qui échappent au marché », « rétablir une véritable progressivité de l’imposition des revenus d’activité ». Et même : « des nationalisations partielles ou temporaires » !
Ces positions et ces propositions ne sont pas empruntées à une publication anticapitaliste ou antilibérale. Il s’agit de citations du texte adopté – fin avril et à la quasi-unanimité – par le conseil national du Parti socialiste pour servir de base à la prochaine convention nationale, consacrée au « nouveau modèle économique, social et écologique ».
Il n’en fallait pas plus pour que les porte-parole de l’UMP ne dénoncent un retour aux vieilles lunes du 10 mai 1981 ! On se souvient en effet que la conquête du pouvoir par François Mitterrand se fit au nom de la « rupture avec le capitalisme ». Mais on se souvient aussi qu’ensuite les différents gouvernements de gauche appliquèrent une politique de « rigueur », c’est-à-dire d’austérité. Au nom de la construction européenne et de la « réconciliation des Français avec l’entreprise », c’est-à-dire de la soumission aux marchés et au patronat… Ceux qui connaissent un peu l’histoire du PS peuvent être légitimement sceptiques devant ce retour en force d’un « discours de gauche » de la part des dirigeants socialistes : ce ne serait pas la première fois que, le parti étant dans l’opposition, les postures radicales annonceraient… la mise en œuvre d’une politique nettement plus « mesurée », une fois revenu aux affaires ! Notons cependant que, au-delà de l’unanimisme formel du conseil national du PS, cette approche est déjà critiquée. Pas seulement par Manuel Valls, décidément parfait dans son rôle de droitier officiel ! Mais aussi par François Hollande qui l’affirme bruyamment : « Nous n’avons pas besoin d’en promettre tant et plus ». Telle semblait, en effet, être la leçon tirée par les socialistes du discrédit dans lequel s’étaient achevés les mandats des gouvernements de l’union de la gauche ou de la gauche plurielle : ne pas trop promettre pour ne pas trop décevoir…
Ces réactions suscitent une double interrogation : pourquoi cette inflexion à gauche, au moins en paroles ? Et d’ailleurs, s’agit-il d’une inflexion à gauche ? Il n’est pas possible, dans le cadre de cet article, de discuter l’ensemble des mesures préconisées par le PS. On se contentera donc d’illustrer, par quelques exemples, les limites et contradictions du nouveau projet socialiste. De fait, ce dernier surfe sur le rejet des politiques mises en œuvre par Sarkozy et, aussi, sur le sentiment populaire d’exaspération vis-à-vis des marchés, des multinationales, des banques, de la crise dont elles sont responsables et dont elles bénéficient. Il se veut donc une réhabilitation de l’action politique, plus précisément du « rôle de la puissance publique ». Le PS préconise ainsi la création d’un « pôle public d’investissement industriel » destiné à piloter et à investir « dans une part significative de l’industrie française ». Et il n’hésite pas, on l’a vu, à évoquer « quelques nationalisations partielles ou temporaires » et même la création d’un « Comité prospectif » qui « élaborerait une stratégie pour la France ». Mais, au-delà des proclamations volontaristes, il serait vraiment excessif d’y voir un retour des nationalisations et de la planification !
En effet, il ne s’agit pas de rompre avec le système actuel mais de « conserver la place de la France dans le monde, alors que la compétition internationale s’intensifie ». Ainsi, l’accent est mis sur l’aide aux petites entreprises (privées, naturellement) : « l’administration, locale comme nationale, doit se mettre au service des PME ». Le PS prévoit également de créer « l’équivalent d’un Small Business Act qui favorise les PME et l’innovation ». On notera que le PS reprend à son compte la fable des PME qui seraient créatrices d’emplois… et qu’il faudrait donc subventionner ! Alors qu’il ne s’agit, en règle générale, que d’entreprises sous-traitantes de grands groupes multinationaux qui peuvent ainsi minimiser et « externaliser » leurs coûts de main-d’œuvre, grâce à des emplois précaires et low cost… Bien sûr, comme toujours en pareil cas, le projet prétend « imposer des contreparties sociales et environnementales fortes à ces aides publiques »…
Le projet socialiste propose également « d’augmenter le coût des licenciements dans les entreprises florissantes ». Et même « d’instaurer une obligation de remboursement préalable des aides publiques reçues moins de cinq ans avant toute ouverture de procédure de licenciements ou de fermeture de sites ». Prenant explicitement le cas de Molex comme référence, le PS envisage aussi « la mise sous tutelle judiciaire » de certaines entreprises. Face à la brutalité de la crise, aux scandales suscités par quelques exemples de rapacité patronale et à la sympathie que rencontrent certaines propositions des secteurs radicaux du mouvement social et des anticapitalistes, le PS est donc contraint de durcir son discours. Pas au point de se prononcer pour l’interdiction des licenciements, quand même !
À défaut de s’en prendre réellement au système de production, le PS est donc obligé d’insister sur la correction au partage (capitaliste) des richesses que peut apporter la redistribution opérée par l’État grâce à la fiscalité. Un tiers du projet est consacré à ce thème. Le PS insiste donc beaucoup sur la restauration d’une « véritable progressivité de l’imposition des revenus ». Un objectif auquel on ne peut que souscrire… À ceci près que, dans le projet socialiste, sa concrétisation est la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG. Souvent évoquée, à gauche comme à droite, cette mesure constituerait une nouvelle étape dans un processus amorcé par le gouvernement de Michel Rocard avec la création de la CSG et amplifié par tous les gouvernements suivants. Or les « cotisations sociales » ne sont pas un impôt, mais du salaire socialisé ! La fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG signerait, de fait, l’étatisation finale de la protection sociale et l’exclusion définitive des salariés de la gestion d’une partie de leur salaire…
Les chapitres consacrés à la mondialisation ou aux services publics sont encore moins convaincants. Le PS s’indigne du traitement réservé par les gouvernements de droite à la santé et à l’éducation et plus généralement aux services publics, compromettant ainsi l’accès égal pour tous aux « biens communs ». Mais comment oublier que si la droite a effectivement aggravé les choses, les socialistes au pouvoir ont eu leur part de responsabilité ? Pour ne prendre qu’un exemple : le projet PS affirme fièrement « le statut de La Poste devra redevenir celui d’un établissement public ». Fort bien ; mais comment oublier que la perte de ce statut est l’aboutissement logique d’un processus amorcé avec la réforme des PTT et la séparation entre La Poste et France Télécom, mise en œuvre par un socialiste, Paul Quilès ?
C’est, au fond, le problème le plus important que soulève le « nouveau projet » du PS : au-delà même des limites d’une approche qui ne saurait satisfaire des anticapitalistes, quelle crédibilité lui accorder ? Que pèse-t-il au regard des positionnements concrets et immédiats des dirigeants PS qui tergiversent sur la défense des retraites, se félicitent de la présence du « socialiste » Dominique Strauss-Kahn à la direction du FMI, louent le « courage » de George Papandréou qui impose une cure d’austérité à son peuple et, à l’Assemblée nationale, approuvent, de concert avec l’UMP, le racket imposé à la Grèce ?
François Coustal