Le MLF a 40 ans cette année. C’est l’occasion de revenir sur l’histoire de ce mouvement qui s’est appuyé sur les luttes de 1968. Cet article et l’entretien avec Josette Trat sont principalement centrés sur les premières années du mouvement de libération des femmes.
Si le Mouvement de libération des femmes (MLF) a commencé en France, en 1970, il n’a pas surgi de nulle part. Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, paru en 1949, avait déjà mis en question une des idées reçues les plus ancrées consistant à justifier l’infériorisation des femmes dans la société par leur nature biologique. « On ne naît pas femmes, on le devient » a permis d’ouvrir le champ des possibles, puisque si l’oppression est construite, il devenait possible de s’y opposer. Aucun destin, aucune fatalité ne pouvait plus rien justifier. Dans les années 1960, de nombreuses chercheuses ont voulu comprendre les évolutions et la nouvelle situation de la « condition féminine » interrogeant chacune des aspects différents, depuis les divisions sociales entre les hommes et les femmes dans travail1 jusqu’à la maîtrise de la fécondité2. À la fin des années 1960, de petits groupes militants se constituent pour réfléchir à l’ensemble de ces questions. Un des plus anciens est sans doute FMA (Féminin-masculin-avenir) qui met en cause la famille, le mariage et anime des réunions en mai-juin 1968. Car, surtout pour de nombreuses futures militantes du MLF, mai-juin 1968 constitue un moment fondateur. Depuis la grève générale, elles sont nombreuses à s’inscrire dans des cadres collectifs variés, qu’il s’agisse de comités d’action, de syndicats ou d’organisations d’extrême gauche. Certaines s’y sentent mal à l’aise, à la fois enthousiasmées par les thématiques de l’époque et rebutées par les querelles de groupuscules ou les discours ouvriéristes. Tandis que le mouvement féministe commence à se faire entendre aux États-Unis, en Grande-Bretagne, au Canada, des militantes, entrées en politique au moment de mai-juin 1968, trouvent dans le MLF, un sens à leur investissement.
Libération des femmes : année zéro
À l’automne 1970, Partisans sort un numéro spécial Libération des femmes : année zéro. Le mouvement féministe n’a donc pas d’histoire. Elle reste à écrire. Les rédactrices de l’ouvrage venant de différents petits groupes ne s’inscrivent ni dans les combats des femmes de la Révolution française ni dans ceux des suffragettes. Elles ne sont pas non plus les héritières des femmes de 1848 ou de la Commune. Entre autres, Christine Dupont (Delphy) y produit L’Ennemi principal. Dans sa recherche matérialiste de conditions communes aux femmes, elle y développe l’idée qu’elles partagent le poids de ce qu’elle appelle « l’exploitation domestique. »
En peu de temps, la non-mixité s’impose dans le mouvement. Les féministes américaines avaient déjà fait ce choix, inspirées du mouvement des Noirs qui avaient exclu leurs alliés blancs pour prendre en main leur propre lutte. En mai 1970, des femmes appellent à une réunion à l’université de Vincennes. Les hommes tentent d’y participer. Ils sont chassés. Un texte, « Contre le terrorisme mâle, le révolution fera le ménage » paru dans l’Idiot international de juillet-août 1970 sort de cette première AG non mixte dans lequel elles expliquent : « On veut se libérer des libérateurs ! »
Le 26 août 1970, une poignée de militantes souhaite alors exprimer sa solidarité avec la grève des Américaines pour le cinquantième anniversaire du suffrage féminin aux États-Unis. Elles se rendent alors à l’Arc de triomphe pour déposer une gerbe en l’honneur de la femme du soldat inconnu. La presse parle alors de « Mouvement de libération de la femme » que les féministes transformeront en Mouvement de libération des femmes.
L’émergence d’un mouvement
D’une poignée, le nombre des militantes du MLF grossit vite. Rapidement, elles orientent leur lutte vers le droit à l’avortement. Elles multiplient les actions provocatrices comme lancer du mou de veau sur la tribune du fondateur de Laissez-les vivre ! en criant : « j’ai avorté ! ». Le 5 avril 1971, le Nouvel Observateur publie la « liste de 343 femmes qui ont eu le courage de signer le manifeste je me suis fait avorter ». Le texte revient sur les conséquences des avortements clandestins, réclame « l’avortement libre » et le « libre accès aux moyens anticonceptionnels ». Et finalement, bien que l’avortement soit réprimé par le code pénal, les signataires ne sont pas inquiétées. Dans le même temps, Gisèle Halimi, avocate des 343, crée l’association Choisir et souhaite organiser un grand procès avec des témoins prestigieux. Mais le mouvement refuse la starification. Le MLF ne veut pas être une organisation. D’ailleurs, quand le MLF appelle pour la première fois à une manifestation, celle-ci s’organise sans service d’ordre, sans mégaphone, avec des ballons multicolores... Le mouvement ne prétend pas représenter les femmes ; ses contours se veulent indéfinis ; il n’entend pas s’arrêter aux querelles, aux obstacles. Des sensibilités se créent alors. Le journal du mouvement, Le torchon brûle, reflète cette diversité. La tendance politique et psychanalyse, animée et fortement polarisée par Antoinette Fouque, développe une orientation essentialiste tandis que le cercle Élisabeth-Dimitriev est animé par des militantes trotskystes. Des regroupements peuvent aussi s’organiser autour d’autres catégories comme femmes mariées, mères célibataires ou gouines rouges.
D’un mouvement d’ampleur à la loi Veil
En mai 1972, des journées pour dénoncer les crimes contre les femmes sont organisées à la Mutualité. C’est une réussite. Après avoir été traitées de petits groupes d’hystériques, les militantes du MLF sont à présent prises au sérieux par la presse qui note qu’elles ne sont pas que des étudiantes. Entre autres, les femmes en lutte sont mises en avant, qu’il s’agisse des ouvrières de Troyes ou des femmes des Nouvelles Galeries de Thionville.
Puis, Marie-Claire, une jeune fille de 16 ans violée, par un camarade de classe est dénoncée par lui pour avoir avorté. Commence alors, en octobre 1972, un véritable procès de société que Gisèle Halimi prend en charge. Finalement, Marie-Claire est condamnée à un an de prison avec sursis. Dans la foulée, 331 médecins déclarent dans le Nouvel Observateur avoir pratiqué des avortements. Le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC), une association mixte, se constitue. Il regroupe des militantes et des membres d’organisations mandatées à titre personnel. Entre autre, le Planning familial, des signataires des 331, des Groupes information santé, l’extrême gauche sont présents : Lutte ouvrière, la LCR, Révolution, l’Alliance marxiste révolutionnaire... De nombreuses femmes qui souhaitent interrompre leur grossesse affluent aux permanences du MLAC qui organise des avortements en France, et des voyages en Angleterre, en Hollande... Des comités MLAC se créent un peu partout et le débat prend de l’ampleur. Le débat sur l’IVG s’ouvre à l’Assemblée et c’est à Simone Veil qu’il revient de convaincre les parlementaires de la nécessité d’une loi sur l’IVG. C’est finalement par 284 voix contre 189 que le vote est acquis en novembre 1974 et la loi est promulguée en janvier 1975.
L’ONU décide alors que 1975 est l’« année internationale de la Femme ». Le MLF ironise sur le sujet : « fêtées une année, exploitées toute la vie ! ». De son côté, le président de la République espère bien tirer profit d’une action en faveur des femmes. Il crée alors un secrétariat d’État à la Condition féminine. Le MLF considère alors qu’il « récupère » la lutte des femmes et que créer ce ministère ne sert qu’à enterrer la lutte des femmes. « Le MLF ne veut pas améliorer la condition féminine mais l’abolir ; combattre un système économique et idéologique fondé sur l’exploitation des femmes, leur négation, leur enfermement. »3 Les femmes du MLF manifestent donc le 8 mars 1975. Malgré la victoire du MLF et du MLAC, les femmes gardent un statut subordonné : les discriminations persistent et les inégalités sont toujours importantes...
Lisbeth Sal
1. Madeleine Guilbert : Les fonctions des femmes dans l’industrie, 1966.
2. Evelyne Sullerot : Demain les femmes, 1965
- Françoise Picq, Libération des femmes, les années mouvement, mai 1993a