L’Italie est à son tour touchée depuis plusieurs semaines par d’importantes manifestations de rejet des effets de la crise (voir Tout est à nous ! n° 83). Nous revenons sur ces derniers événements avec Franco De Martis, militant historique de l’Autonomie ouvrière romaine.
La crise qui secoue actuellement l’Italie n’est-elle qu’un ras-le-bol des outrances du berlusconisme ?
Non bien sûr, cette crise est la conséquence de la prise de conscience d’une grande partie de la jeunesse italienne, en particulier sa fraction la plus jeune, qu’il n’y a pas d’avenir pour elle dans cette société. Pour être plus précis : les lycéens, la jeunesse « pré-ouvrière » constituée des apprentis et des stagiaires aux débouchés improbables, les précaires qui font des petits boulots non gratifiants et sans avenir (caissierEs de supermarchés, ouvrierEs spécialiséEs des centres d’appels téléphoniques…). Les étudiants quant à eux se sont soulevés contre la réforme Glemini qui vise à chasser les chercheurs aux statuts précaires de l’université, en leur retirant toute possibilité de titularisation. La génération des 35-40 ans qui n’a jamais connu que la précarité a également rejoint le mouvement.
Ainsi, toutes ces catégories que tu viens de décrire se sont retrouvées au coude à coude dans la rue ?
À Rome, par exemple, ce sont les jeunes des quartiers défavorisés de la banlieue qui ont marché sur le centre historique, et c’est un phénomène nouveau. Nous n’avons pas ici comme en région parisienne, de quartiers peuplés majoritairement d’habitants issus de l’immigration, mais il n’empêche que la spéculation immobilière et l’appauvrissement massif ont créé des ghettos désertés par les services publics, mal desservis faute de transports en commun. On peut employer le terme de relégation sociale. Outre cette jeunesse précarisée, les salariés sont descendus massivement dans la rue, derrière leurs banderoles syndicales : de la CGIL et notamment de sa fédération des ouvriers de la métallurgie (Fiom), des Cobas (comités de base) de la RDB (Union syndicale de base implantée dans la santé publique, l’administration et les sapeurs-pompiers). Les centres sociaux, expression culturelle de la jeunesse urbaine, étaient là eux aussi.
La nouveauté de ce mouvement réside dans sa spontanéité et son caractère massif. Le service d’ordre des collectifs universitaires et des organisations syndicales qui avait été mis en place s’est retrouvé rapidement dépassé par les événements. Les « antagonistes » ont affronté la police de Berlusconi avec une rage et une détermination dignes des années 1970 qui nous ont surpris, nous les anciens ! Des gens se jetaient à mains nues contre les robocops et les blindés, s’attaquaient aux symboles de la richesse (voitures de luxe, banques)… Du jamais vu depuis 25 ans ! Les flics eux-mêmes étaient surpris et ont mis un certain temps à s’organiser…
Quel avenir vois-tu à ce mouvement ?
Pour le moment, ce mouvement se cherche et n’a pas encore produit une quelconque plateforme permettant de fédérer ses composantes, surtout chez les plus jeunes. Le mouvement syndical a lui ses propres revendications, les centres sociaux enracinés depuis longtemps dans les quartiers également, mais le mouvement doit au plus vite trouver un espace de réflexion collective pour tracer des perspectives à la partie la plus jeune et la plus radicale. Par ailleurs, la loi Glemini a été votée le 23 décembre malgré la mobilisation. Il peut y avoir un effet de démobilisation, mais rien ne l’indique pour l’instant. Le mouvement étudiant s’oriente dès maintenant vers un boycott des effets de la loi, afin de créer une mobilisation telle qu’elle soit abandonnée. Mais l’hypothèse d’un durcissement du pouvoir existe. Ainsi, en pleine trêve des confiseurs, 200 bergers sardes, venus manifester pacifiquement à Rome, ont été sauvagement matraqués dès leur sortie du ferry à Civitavecchia. Le pouvoir a manifestement peur de la contagion !
Et la « gauche » dans tout ça ?
La réponse à cette question mériterait un article en elle-même ! Il n’y a plus en Italie une véritable « gauche » institutionnelle. La « droite » du Parti démocratique (PD) court après l’ex-Démocratie chrétienne, et sa « gauche » développe des positions social-libérales à la DSK. Un projet de fédération tout à fait improbable existe entre d’ex-membres de Rifondazione Communista et une petite partie du PD. En fait, toutes fractions confondues, ces organisations attendent l’élection législative de 2012 et l’éventuel départ de Berlusconi, en espérant une redistribution des cartes !
La gauche extra-institutionnelle (syndicalistes de base Cobas, gauche de la CGIL, fédé des métalos, centres sociaux) regarde avec intérêt se développer ce nouveau mouvement social, mais également avec méfiance. L’urgence est donc de créer les conditions d’un dialogue entre cette gauche extra-institutionnelle et les structures dont, je l’espère, se dotera rapidement le mouvement.
Propos recueillis par Alain Pojolat