La France est un pays d’immigration depuis bien longtemps mais ne possède pourtant son musée de l’immigration que depuis trois ans ! Alors qu’aux États-Unis, le Musée national de l’histoire de l’immigration des États-Unis sur Ellis Island date de 1990… Comment expliquer un tel paradoxe ? Il faut y voir sans doute un effet de l’idéal républicain universaliste qui prétend ne voir que des citoyens sans se soucier de leurs origines différentes. L’influence néfaste du FN depuis les années 1980 explique aussi que les politiques aient longtemps hésité pour décider de la mise en place d’un tel musée. Paradoxe ultime, c’est finalement le Chirac du « bruit et l’odeur » qui a décidé de sa création, sous la pression bien sûr des associations et des historiens et pour conforter son image « post-21 avril 2002 ».
On ne peut que se satisfaire bien entendu de la création d’un tel lieu, d’autant qu’il assume avec volontarisme sa vocation d’accueil des publics scolaires. Des expositions temporaires très intéressantes, comme celle en cours consacrée au rôle des immigrés dans le football en France, sont organisées régulièrement, ainsi que des événements ouverts à un large public : concerts, débats. Malheureusement, sa fréquentation est restée faible, sans doute en partie du fait de choix muséographiques ardus. Le musée retrace par de grandes cartes l’histoire de l’immigration, et s’appuie ensuite davantage sur des objets, des œuvres d’arts, en un parcours très sensible mais difficile à maîtriser pour un public non historien ou non accompagné d’un guide.
En 2007, dans une interview parue dans Rouge, Gérard Noiriel, historien, membre fondateur du Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire (http://cvuh.free.fr/), expliquait dans les termes suivants sa décision de démissionner du conseil scientifique de la Cité de l’immigration, à la suite de la création inacceptable du ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale :
« Pendant la campagne des présidentielles, dès que cette association de l’immigration et de l’identité nationale est apparue, nous l’avons vivement critiquée, car il s’agit d’une thématique mise au goût du jour par l’extrême droite dans les années 1980. Associer ces deux termes permet de jouer sur les réflexes de rejet à l’égard des étrangers, dans une partie de l’opinion. C’est ce qui a permis à Sarkozy de récupérer une bonne partie de l’électorat de Le Pen. Mais dans le même temps, ce rejet n’est que suggéré. Il n’est pas énoncé explicitement. Du coup, la droite peut crier au procès d’intention et se défendre contre toute accusation de racisme. En associant des mots comme immigration et identité nationale, les spécialistes de la communication sarkozyste ont voulu jouer sur les effets de réception. Les propos hostiles aux immigrés que tenaient les participants des meetings UMP, au moment où Sarkozy a lancé ce thème montrent clairement qu’ils avaient compris le message !
Avec les chercheurs associés à la Cité de l’immigration, nous voulons justement casser ce genre de réflexes. L’objectif de la Cité est de créer un espace proche de l’université populaire plus que du musée, dont puissent s’emparer les associations afin de changer le regard sur l’immigration. En 2004, quand Raffarin a repris à son compte ce projet de Cité (qui avait d’abord été concocté par la gauche), nous n’avons pas voulu faire de procès d’intention à la droite. Nous avons participé à ce projet civique bénévolement, de façon militante, prêts à quitter le comité scientifique à tout moment si les choses dérapaient. Dès 2005, nous avons d’ailleurs écrit une tribune dans le Monde pour critiquer le terme de « racaille » employé par Sarkozy, un terme qui a un lourd passif et qui nous paraissait insultant et dangereux. Pendant la campagne, puis après l’élection de Sarkozy, alors que le projet de ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale se précisait, nous avons prévenu que nous démissionnerions s’il était mis en place. C’est ce que nous avons fait sitôt la décision annoncée, alors que la droite avait passé outre nos recommandations. Nous ne nous attendions pas à un tel impact médiatique de notre démission. Sur douze membres du comité scientifique, nous sommes huit à avoir démissionné. Cela étant, même les non démissionnaires ont rejeté l’intitulé du ministère.
Concernant la Cité de l’immigration elle-même, nous allons continuer notre travail à la base, et on invite tous ceux qui le souhaitent à investir ce lieu, mais nous continuerons à nous opposer à toute utilisation politicienne. Avec le nouveau gouvernement, on sait que ce sera une sorte de guérilla quotidienne ».