Le Capital de Marx est sorti sous forme de manga aux éditions Soleil manga. Olivier Besancenot en a écrit la préface, dont nous publions quelques extraits.Tu pensais que Le Capital de Karl Marx, c’était du chinois ? Eh bien voilà la version française du célèbre texte en manga japonais. À partir d’une histoire simple – un petit fromager crée son usine –, la bande dessinée expose ce qu’est le capitalisme, sans manichéisme opposant les gentils et les méchants. Elle déroule et dénonce la logique du système [...]. Ce manga en deux tomes absolument complémentaires – le premier porte sur l’argent ; le second sur les mécanismes du capital – est une invitation astucieuse, plaisante et rigoureuse à découvrir l’œuvre majeure de Marx. Si Le Manifeste du parti communiste (1848), autre grand texte de l’auteur, est largement lu, Le Capital, au contraire, traîne dans le sillage de son succès la réputation d’être inaccessible. Méfions-nous cependant des réputations toutes faites. Certes Le Capital, c’est quatre livres, soit environ 3 000 pages, rédigés en 20 ans. Ainsi présenté, cela peut calmer les ardeurs. Pourtant, passé les premiers chapitres, ardus du point de vue théorique, l’œuvre s’ouvre à tous et décode clairement les arcanes de l’exploitation capitaliste. [...] Marx parvint à déceler le moment précis où la plus-value est créée. Ce n’est pas sur les machines ou les matières premières, mais sur la force de travail. Grâce au travail des salariés, les matières premières se transforment en marchandises dont la valeur augmente. Cette valeur ajoutée par le processus de production est largement supérieure au salaire que perçoit le travailleur pour le temps de travail effectué. C’est la grande découverte de Marx : la différence entre le salaire et le temps de travail, le travail non payé, c’est la plus-value, le profit à venir. La plus-value est la valeur du surtravail non payé. Quand une demi-journée de travail suffit objectivement à le rémunérer, le salarié doit pourtant prolonger sa tâche au-delà, sur toute une journée qu’exige contractuellement son employeur. En clair, le salarié est contraint d’offrir une demi-journée à son patron ; et c’est la moyenne encore de nos jours. Ce cadeau est la seule véritable source des profits, dont une part sert maintenant à accroître les revenus des capitalistes financiers, des actionnaires qui reçoivent beaucoup d’argent sans lever le petit doigt. La ficelle est énorme, tellement grosse, que nous n’en avons que peu conscience, souvent convaincus, par la force des apparences, d’être rémunérés à la valeur de ce que nous produisons. C’est précisément là que réside le véritable scandale de nos salaires. Nos revenus ne sont pas trop maigres uniquement parce qu’ils ne nous laissent pas de quoi vivre décemment. Ils sont trop maigres parce que ne nous revient qu’une faible part de ce que nous produisons nous-mêmes. Le capitalisme n’est donc pas ce système virtuel où, par magie, l’argent se générerait de lui-même. Non, c’est un système réel qui produit de l’argent en volant le fruit du travail de tous les salariés. [...] Le Capital est au cœur des découvertes et réflexions de Marx. Cette œuvre n’a pas émergé en laboratoire clos, loin des réalités, sous les équations d’un professeur nimbus rouge. Marx est le fondateur de la première Association internationale des travailleurs dont le but était de renverser le capitalisme et d’établir le socialisme. Le Capital a été échafaudé à partir de l’observation du monde – qui n’a pas fondamentalement changé depuis –, et dont les crises à répétition désagrège toujours la société plus de 140 ans après sa parution. Il se dit même que certains capitalistes lisent Marx en douce pour tenter de comprendre ce qui leur arrive. Garde donc précieusement les deux volumes de ce manga, ton employeur pourrait bien avoir envie de te les voler. C’est un bon GPS sur le chemin de l’émancipation. Olivier Besancenot