Regards : Que changent les révolutions qui se déroulent dans le monde arabe?
Olivier Besancenot : Elles montrent que c'est possible. Pour la génération anticapitaliste née du lent renouveau du mouvement social au début des années 90, cela montre que nous ne sommes pas condamnés à vivre dans un monde sans révolution. Le peuple fait irruption sur la scène politique et prend en main son propre destin au-delà des échéances électorales. Il s’affronte non seulement aux dictatures mais aussi aux intérêts impérialistes et occidentaux.
Le courant politique auquel j’appartiens à toujours dit qu’il n’y avait pas un modèle de révolution. Chacune a ses spécificités mais mais s'inscrit toujours dans un contexte. Aujourd'hui, c'est celui de la faillite du capitalisme. On ne peut pas comprendre ce qui se passe en Tunisie, en Egypte ou en Libye qu’avec des lunettes braquées sur les questions démocratiques. C’est une faillite politique dans mondialisation capitaliste. Avant le capitalisme n’était confronté qu’à ses propres contradictions, ce qui était déjà pas mal. Là, la contradiction est portée par le camp d’en face, les opprimés. Comme l’énonçait mon ami et camarade Daniel Bensaïd, le champ des possibles est toujours ouvert, et cela, on le savoure aujourd’hui en direct live!
Jean-Luc Mélenchon: La première impression, c’est celle de recevoir un appuis et ça, c’est magique. Ces révolutions vont vaciller la thèse du choc des civilisations que nous avait vendu la droite et l'extrême droite. L'idée selon laquelle les peuples sont conditionnés par leur culture et que derrière chaque culture, il y a une religion. Donc naturellement, quand les Arabes se mettent en mouvement c'est forcément pour réclamer plus de religion. Or nous avons vu un peuple demander de la liberté, de la dignité et de la démocratie. Voilà qui bat en brèche le fatalisme et une vision raciste du monde.
Bien qu'elles interviennent dans des cultures, des pays et contextes différents, les révolutions manifestent toujours des constantes. On retrouve toujours une situation qui accumule les motifs d’explosion. Mais ce n’est pas parce que ces conditions sont réunies que la révolution éclate. Par exemple la misère ne déclenche pas la révolution en soi. Quoi qu’il en soit elle n’éclate jamais pour des raisons idéologiques. Cela part toujours d’un événement ou d’une situation simple, que j’ai appelé le bug. La mécanique se met en place en partant d’un fait social, prend une dimension d’exigence démocratique et revient au fait social parce qu’on ne fait pas une révolution pour être de nouveau mal traité à l’usine.
Regards : Mais concrètement, ces révolutions changent-elles quelque chose dans votre perception du phénomène révolutionnaire?
Olivier Besancenot: èmesiècle, un communisme ou un écosocialisme, peu importe le terme, mais une société non capitaliste. Ce que ça change, même pour la gauche, c’est qu’on peut maintenant discuter de révolution. C’est tout de même savoureux! Il y a encore quatre ou cinq ans, pour discuter de questions stratégiques liées au partage des richesses, au capitalisme ou au rapport à la propriété ce n’était pas évident, même avec la gauche. La droite n’était pas la seule à discréditer l’idée même de révolution. Aujourd’hui les compteurs sont remis à zéro et c’est une bonne chose. Nous avons en tout cas la démonstration qu’une révolution peut se faire en dehors des échéances électorales.
Regards : Toujours la même opposition entre la rue et les urnes?
Olivier Besancenot: L’opposition entre la rue et les urnes est stérile. On a besoin des partis politiques. Ils sont utiles dans les moments de reflux, aident à la mémoire collective, à l’organisation des militants et à faire la jonction entre les secteurs de la révolution. Mais il faut s’assurer qu’ils ne parlent pas à la place du peuple, qu’ils aient la préoccupation de faire la synthèse du social et du politique.
Là, c’est sûrement un désaccord entre nous. Même quand on l'appelle révolution citoyenne comme toi, ça ne peut pas être une promesse électorale, parce qu'elle doit être une rupture en termes d’implication populaire avec l’idée de délégation de pouvoir.
Jean-Luc Mélenchon: Dans mon esprit, il n’y a jamais eu d’opposition entre le phénomène révolutionnaire et la question civique. Une révolution éclate comme un tremblement de terre, pour des raisons qui rendent compte d’un système d’ensemble. Ca peut se passer pendant une période électorale ou en dehors.
La révolution se signale certes comme un acte de rupture mais ensuite, ce n’est l’émeute permanente. Je parle de révolution citoyenne parce qu’il s’agit de faire la synthèse des deux et d'accomplir les tâches de la révolution. La première caractéristique d’une révolution c’est le changement de l’ordre institutionnel. Il faut décrire le chemin que l'on compte emprunter pour faire naître un ordre différent, d’où la nécessité de la constituante. Deuxièmement, il s’agit d’obtenir une modification radicale du régime de la propriété. Troisièmement, il faut se pencher sur les valeurs qui sont inscrites comme vecteur du processus révolutionnaire. En 1789, il fallait abattre la monarchie, changer l’ordre de la propriété et instaurer la liberté, l’égalité et la fraternité. Aujourd’hui, il faut abattre l’ordre présidentialiste de la Vème république et étendre les droits des citoyens. La citoyenneté ce n’est pas seulement la civilité, c’est l’exercice du pouvoir dans un cadre collectif. Le projet révolutionnaire doit marier la question du mouvement général de la société à son expression institutionnelle et légale.
La révolution citoyenne, mot d’ordre emprunté aux révolutions sud-américaines, essaye de donner une solution concrète.
Olivier Besancenot: Si aujourd’hui tu penses que révolution et suffrage universel ne sont pas contradictoires, c’est une bonne avancée. Pour nous en tout cas, ça n’a jamais été incompatible.
Depuis la Commune, on sait que pour changer les choses il ne faut pas substituer un gouvernement à autre mais abolir l’appareil d’état pour établir un nouveau mode de fonctionnement démocratique qui fonctionne du bas vers le haut. Le temps social n’est pas forcément le temps politique et le temps politique pas le temps électoral. Au Caire par exemple, ils ne veulent pas d’élections trop vite, car en Egypte, on sait que les voixélectorales peuvent s’acheter et que si on organise des élections trop vite, Moubarak repasse tout de suite. On est dans l’interstice entre le déjà plus et le pas encore. Dans ce processus, il faut garder l’obsession de l’implication populaire. Mon objectif, c’est que le peuple prenne et garde le pouvoir, personne d’autre, pas même un parti révolutionnaire. C’est la question stratégique centrale.
Jean-Luc Mélenchon: Nous devons avoir une vue des tâches qui sont à accomplir mais aussi de la méthode. Nous ne sommes pas les porteurs d’eau de la révolution chargés de passer l’éponge sur le front du lutteur. On a des idées, on sait de quel côté il faut aller. C’est une bataille concrète. A chaque étape, il y a des décisions à prendre. Là, concrètement, nous devons mettre toutes les chances de notre côté. Il y a une lutte sociale? Il faut y être. Et dans une lutte, comme disait Marx, c’est moins le résultat qui compte que le sentiment de l’union grandissante. Il faut aussi faire ça sur le plan politique. On ne va quand même pas regretter que les gens votent ni s’en foutre au motif que «c’est une démocratie bourgeoise».
La question que nous avons en commun, c’est la recherche de la clé de l’implication populaire. Elle doit être pensée comme un acte à organiser.
Je me bats pour que nous soyons majoritaires dans des élections. Je ne peux pas me contenter d’attendre qu’il se passe quelque chose. Il faut provoquer les choses, au plan institutionnel parce que aujourd’hui on ne sait pas faire autrement.
Olivier Besancenot: Ce que tu proposes, c’est un processus par le haut. Moi, je milite pour un processus par le bas. Dire qu’on peut aller au gouvernement et qu’ensuite on va se battre pour l’implication populaire, on l’a entendu des années. Même avec les meilleures intentions, tu ne seras pas en mesure d’impliquer la population parce que tu seras pris au piège d’alliance politique. A l’arrivée, c’est le pouvoir économique qui décide.
Dans le mouvement sur les retraites, la responsabilité du mouvement ouvrier était d’assurer un bras de fer politique avec Sarkozy et pas de serrer les fesses en attendant 2012. Le mouvement ouvrier na pas pris la responsabilité d’aller à la grève générale. A partir de ce processus là, on aurait pu imaginer tout une série d’éléments en termes de perspectives politiques... Toi, tu étais partis sur le référendum. Si les revendications ne sont pas portées par la base, ça ne marchera pas.
Jean-Luc Mélenchon : On peut tout transformer en désaccord insurmontable ou tenter de comprendre. Toi, tu mets en avant que la démocratie la plus directe possible est nécessaire pour allumer le moteur de la révolution. Je n’en disconviens pas mais j’essaye d’en traiter concrètement. Tu prends l’exemple des retraites et estime que la mobilisation était suffisante pour provoquer quelque chose de plus élevé d’un point de vue politique. Ce n’est pas la vision que j’en ai eu. Le référendum, était une exigence formulée au pouvoir. Il s'agissait de montrer que c’était possible de faire autrement, qu’on mettait le pouvoir au défi de demander son avis au peuple. En revanche, je n’ai jamais dit qu’il fallait choisir entre le referendum et le mouvement social. Il fallait les deux.
Olivier Besancenot: Eh bien pars et gagne! Tu crois que les capitalistes vont se laisser faire?
Regards: Ca pose la question de la violence?
Jean-Luc Mélenchon: Et de la loi, peut-être, avant la violence…
Olivier Besancenot: La loi et les institutions ne règlent pas le problème de la violence. Il ne suffira pas demain d’une bonne loi pour obtenir des capitalistes qu’ils restituent ce qu’ils ont volé. Ce ne sont pas des enfants de cœur. Et de notre côté, il ne faut pas être naïf. Un programme anticapitaliste ne s’appliquera pas simplement et tranquillement après une bonne campagne électorale. Il y aura une confrontation. Le CAC 40 ne va pas se laisser faire.
Regards: Pourquoi l’anticapitalisme ne profite pas de la crise du capitalisme?
Jean-Luc Mélenchon : C'est la force de maintien de l’ordre tel qu'il est. Cela passe par les mesures les plus brutales, comme la criminalisation de l’action syndicale ou par des choses moins visibles de l’idéologie dominante, relayée par les appareils de divertissement et médiatiques, qui mettent dans les têtes qu’on ne peut rien faire, que c’est l’ordre du monde.
Olivier Besancenot: Pour pondérer, il y a des idées qui sont débattues à gauche et qui ne l’étaient pas avant. On parle maintenant répartition des richesses ou écarts de salaire… Même au PS! Ca nous renforce.
Mais nous avons une responsabilité commune, dans le contexte de la montée de Marine Le Pen, c’est de ne pas tergiverser. Devant un ennemi fasciste et populiste, on unie ses forces. La gauche doit assurer un programme de rupture pas seulement dans les revendications, mais vis-à-vis d’un système. C’est cette absence de remise en question du système qui fait monter le Front national. D’où mon insistance sur la nécessité de partir du bas, du peuple.
Regards: Dans «le bas», ce qu’on entend souvent c’est une totale incompréhension vis à vis des divisions de la gauche.
Olivier Besancenot: Oui, mais on entend aussi dire qu’il faudrait qu’il y ait qu’une seule gauche autour PS. Mais il n’y a pas qu’une seule gauche même si l’appel unitaire est légitime. L’arrivée de DSK renforce l’idée qu'il y deux grandes orientations politiques à gauche. L’une sociale libérale et l’autre, qui veut en sortir. Et il n’y a pas que des partis dans cette famille. Il faudrait une candidature de rassemblement anticapitalistecapable d’exprimer la radicalité du mouvement social. Il faut discuter d’un programme, des alliances et du casting. Pour moi par exemple, tu ne peux pas être candidat parce que tu es à la tête d’un parti politique. L’unité, ce n’est pas le ralliement. Le désaccord entre nous, ce n’est pas seulement l’implication dont nous parlions tout à l’heure, mais le contrôle populaire sur le pouvoir. Les réunions en tête à tête entre partis, on connaît, ça ne marche pas.
Regards: Mais tout de même, sur les programmes, vous êtes d’accord au fond. Qu’est ce qui justifie que vous ne soyez pas ensemble?
Jean-Luc Mélenchon: Je suis d’accord. Rien ne justifie qu’on ne soit pas ensemble. Nous sommes un petit parti. A peine 8000 adhérents. La stratégie du rassemblement s’imposait à nous, d’où le Front de gauche. Nous avons un exemple de rassemblement dans le Limousin, lors des Régionales où Front de gauche et NPA main dans la main ont fait 14% au premier tour et 20% au second. De la même manière aujourd’hui, on devrait être ensemble et construire une force populaire. Tu as raison, ça ne peut pas être le ralliement. Mais ça ne peut pas être non plus un assentiment total sur ce que tu dis. Il faut tolérer que tout le monde ne soit pas du même avis.
De toutes façons, ces histoires de candidature nous mettent mal à l’aise parce que nous ne sommes pas d’accord avec cette forme de représentation inhérente à la Cinquième république. Comment, en effet, une telle variété de mouvements pourraient être représentés par une seule et unique personne. Alors dans cette situation, l’enjeu est de proposer un candidat qui soit en mesure de mettre en place une structure collective. Si nous faisons ensemble, nous ferons quelque chose d’extraordinaire.
Olivier Besancenot. Sur le programme, il y a des choses à discuter. Je prends simplement l'exemple du secteur bancaire qui touche à la répartition des richesses. Tu proposes un pôle public et pas un monopole bancaire, qui est notre proposition. Ce n'est pas la même chose. Le pôle public en question se trouvera forcément en concurrence avec les banques privées et devra suivre les règles d'un fonctionnment capitaliste.
Regards: Au Congrès du NPA, on entendait les questions qui se posent autour de votre possible candidature Jean-Luc Mélenchon : votre passé avec les socialistes et votre participation à un gouvernement PS.
Jean-Luc Mélenchon: Je suis consterné que ma réponse ne soit pas entendue sur ce sujet. J’ai rompu avec le mouvement socialiste et écrit un bouquin de 350 pages pour expliquer pourquoi ce mouvement a raté la marche en s’enfonçant dans la social-démocratie à l’européenne. J’ai un rapport critique à mon passé. Alors que dois-je faire? Me flageller en demandant pardon. Personne n’est habilité à me fournir ou non un certificat de bon révolutionnaire. Quant à la participation à un gouvernement socialiste, j’ai répondu le jour même où j’ai proposé ma candidature. Je n’irai dans aucun autre gouvernement que celui que je dirigerai.
Regards : Qu’est-ce que vous lisez en ce moment, qu’est ce qui vous inspire dans la pensée critique contemporaine?
Jean-Luc Mélenchon: Je lis le bouquin d’Ignacio Ramonet sur les médias. Cette affaire là est très importante, c’est la deuxième peau du système. C'est un appareil à normaliser les cerveaux, c’est notre ennemi. Il faut éduquer et préparer les esprits à lutter contre ça et non accepter l’autorité journalistique.
Olivier Besancenot: Franz Fanon, par exemple, est encore et toujours d’actualité. J’ai une citation de lui dans ma poche: «Nous ne devons pas cultiver l’exceptionnel, chercher le héros, autre forme du leader. Nous devons soulever le peuple, le meubler, le différencier, le rendre humain. Politiser, c’est ouvrir l’esprit, c’est éveiller l’esprit, c’est comme disait Cesaire, inventer des âmes. Il n’y a pas d’homme illustre capable de tout. Les mains magiciennes ne sont en définitive que les mains du peuple».
Propos recueillis par Clémentine Autain et Rémi Douat