Une fois encore, une fois de trop, un homme est mort. Mardi 19 juillet, Adama Traoré est mort suite à une interpellation, le jour même de son anniversaire. Il avait 24 ans et s’était interposé lorsque les gendarmes étaient venus chercher son frère. Alors que le procureur de la République pointait un « syndrome asphyxique » pour justifier la mort d’Adama, les gendarmes ne faisaient pas mystère des actes qui y avaient conduit : « nous avons employé la force strictement nécessaire pour le maîtriser mais il a pris le poids de nos corps à tous les trois au moment de son interpellation. »
Une nouvelle fois en France, un homme noir ou arabe est donc mort aux mains des forces de l’ordre. Depuis plusieurs décennies, ce sont des centaines de personnes qui ont perdu la vie dans des conditions similaires. Jeunes ou moins jeunes, presque toujours noirs ou arabes, habitants de quartiers populaires, ils ont été tués dans l’indifférence générale et les responsables – directs ou indirects – de leur mort n’ont que très rarement été condamnés.
Enquêtes bâclées, pressions politiques, indifférence médiatique, justice complice, etc. : tout est bon pour protéger policiers et gendarmes, à coup de non-lieux ou de prison avec sursis. Comment s’indigner de l’état des relations entre les forces de l’ordre et les habitants des quartiers populaires quand on connaît le harcèlement policier quotidien et l’ampleur des violences policières impunies ? Les contrôles au faciès systématiques sont ainsi autant de rappels quotidiens à un ordre raciste, auquel participe la justice en garantissant une impunité presque totale aux agents coupables de ces violences.
Alors même qu’Hollande s’était fait élire en promettant de mettre fin à ce ciblage systématiquement raciste, il a abandonné dès l’automne 2012 la proposition – pourtant minimale – d’un récépissé que les policiers auraient dû délivrer lors des contrôles d’identité. Valls et Cazeneuve n’ont pas cessé depuis de réaffirmer leur « confiance » dans l’action des forces de l’ordre, déclarations qui sonnent comme autant de promesses de demeurer aveugles et muets devant le racisme policier.
Si la presse française peut à l’occasion rendre compte des crimes racistes commis par la police aux Etats-Unis, elle demeure généralement muette quant aux agissements de la police française et, lorsqu’elle les évoque, en nie presque toujours le caractère raciste. Qui connaît les noms et les visages de tous ceux qui sont ainsi morts pour rien ? On se souvient du non-lieu dont ont bénéficié les policiers impliqués dans la mort de Zyed et Bouna, mais quid de tous les policiers et gendarmes impliqués dans la violence structurelle d’Etat qui s’abat sur les quartiers populaires ?
Sous le label « politique de la ville », c’est en effet tout un dispositif ramifié et omniprésent de contrôle social et d’encerclement quasi-militaire des populations qui s’est construit au cours des trente dernières années dans les quartiers populaires, où sont concentrées les franges les plus opprimées du prolétariat. Conséquence de ce traitement d’exception qui prolonge, au moins en partie, les méthodes du colonialisme français : les violences policières à l’égard des non-blancs sont endémiques. Dans les quartiers populaires, on tue des noirs et des arabes en silence, et en général impunément.
Toute la lumière doit être faite sur les violences qui ont conduit à la mort d’Adama Traoré, en particulier sur la responsabilité des gendarmes. Mais pour que justice soit faite, pour briser le quadrillage répressif des quartiers populaires et pour faire cesser le racisme policier qui y sévit, il sera nécessaire de construire une large mobilisation qui bouscule l’agenda politique et les institutions, en affirmant haut et fort qu’en France comme aux Etats-Unis, les vies noires et arabes doivent compter.
Ugo Palheta