L’illusion longtemps entretenue d’un pays terre d’asile et des droits de l’Homme a fait long feu avec l’afflux de réfugiés en Europe, venant de pays détruits par des guerres impérialistes. Il est de notoriété publique aujourd’hui que la France adopte une politique hostile aux réfugiés.
La honte de la « jungle » de Calais
L’exemple le plus frappant est celui du traitement de Calais, point d’agglomération des réfugiés qui souhaitent traverser la Manche pour aller en Angleterre. Les médias se sont fait l’écho pendant des mois de la situation tragique des occupants de la « jungle ». Des photos d’installations insalubres, sans eau ni électricité, ni latrines, ni douches, ont circulé dans le monde entier et indigné les populations. La situation des personnes habitant la jungle était tellement honteuse que le Haut-commissariat pour les réfugiés (HCR) des Nations unies s’est vu contraint d’exhorter la France à présenter un plan d’urgence « global » pour traiter la crise des migrants à Calais, avec les moyens mobilisés lors de catastrophes naturelles. Le HCR a rappelé à la France ses devoirs en termes de droits humains. Il a fallu un jugement du tribunal administratif de Lille en référé pour astreindre l’Etat à recenser sous 48 heures les mineurs isolés en détresse. L’Etat s’est vu accorder huit jours pour créer dix points d’eau au lieu de trois, installer 50 latrines, collecter les ordures et installer des bennes supplémentaires… sous astreinte de 100 euros.
Le gouvernement socialiste et son ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, ont fait le choix de laisser ces populations dans des conditions de vie telles qu’elles en soient découragées et partent... sans se demander où d’ailleurs. Il a renforcé la présence des flics à Calais, suite à un accord conclu avec la Grande-Bretagne, faisant de la France le garde-chiourme empêchant les traversées de réfugiés. Il y a à Calais un représentant des forces de l’ordre pour six étrangers !
Le gouvernement a fait le choix de la répression, de placements en rétention illégaux, de renvois n’importe où en France. Tout pour décourager les familles de rester à Calais. Ainsi, en octobre, 46 personnes étaient envoyées par avion mille kilomètres plus au sud, dans le centre de rétention administrative de Nîmes, une cinquantaine convoyées également par avion près de Toulouse, Rouen, Marseille ou Metz. L’Etat français s’est comporté en voyou avec ces familles désemparées, les trimbalant sans rien leur dire à l’autre bout du pays. Indigne et de plus totalement inefficace, puisque ces familles qui ont fui leur pays ne cherchent pas à rester en France mais à aller en Angleterre, et se regroupent donc là où elles peuvent espérer passer.
Des pays comme la Turquie, qui accueille 2,7 millions de réfugiés de pays voisins ravagés par les guerres, les traitent avec beaucoup plus d’humanité, c’est dire ! Quant à l’Allemagne, rapporte une journaliste de ce pays, elle a accueilli un million de personnes en 2015 et « il n’y en a pas une qui vit sous une tente, dans la boue, sans médecin ni eau courante, comme à Calais ou à Grande-Synthe »...Triste constat pour un pays comme la France, qui se targue souvent de son héritage humaniste et se permet de donner des leçons aux autres nations.
Evacuation de migrants à Paris
Des campements parisiens ont été évacués de nombreuses fois par la police. Ainsi celui de Stalingrad, dans le 19e arrondissement, a été évacué à trois reprises. Le 2 mai 2016, il l’était une nouvelle fois, alors qu’il était composé de plus de 1600 personnes. Le 4 mai, c’était au tour du lycée Jean Jaurès, en attente de rénovation depuis des années et occupé par les réfugiés, dans le 19e arrondissement toujours. Au total, il y a eu jusqu’à ce jour 20 évacuations dans la capitale. Les réfugiés et les organisations qui les soutiennent racontent qu’il faut une masse critique de personnes réunies ensemble dans des conditions hygiéniques épouvantables pour que la mairie de Paris bouge et, après une intervention brutale de la police, héberge, souvent de façon temporaire, des réfugiés.
Une peur entretenue, la vérité des chiffres
Comment en est-on arrivé là ? Comment un pays riche comme la France a-t-il adopté une telle politique ? Pourquoi les gouvernements successifs, de droite ou de gauche, ont-ils tous mené une politique hostile aux étrangers ? Avec comme paroxysme l’attitude actuelle du gouvernement socialiste, confronté à l’exode massif de pays comme l’Afghanistan, la Syrie ou l’Erythrée ?
C’est l’extrême droite qui a imposé dans le débat politique français l’idée d’une immigration massive, voire d’une invasion. Au lieu de combattre ces idées racistes, les différents gouvernements ont surfé sur cette vague. Pratique, car selon la vieille bonne politique du bouc émissaire, ce sont les étrangers qui sont la cause de tous les malheurs de la population. Pas les patrons qui licencient, pas le gouvernement à leur service, qui ravage les services publics pour donner toujours plus de milliards à fonds perdus aux grands groupes capitalistes ? Non, c’est l’étranger ! Les chiffres, lorsqu’on prend la peine de les regarder, montrent à quel point toute cette propagande est mensongère, en plus d’être indécente.
La France n’est pas, et de loin, le pays qui attire le plus de réfugiés. Comparons les 65 000 personnes accueillies en France en 2015 avec les plus d’un million arrivées en Allemagne. Sur les cinq millions de Syriens qui ont fui leur pays depuis 2011, la France en a accueilli...10 000, contre 2,7 millions en Turquie et plus d’un million au Liban.
Quant à ses déclarations pour « relocaliser » des réfugiés dans des villes volontaires en France, il semble que ce ne soient que des paroles. En effet, lorsque l’Etat a appelé à un effort de solidarité, plusieurs villes ont répondu favorablement. Rennes notamment a proposé 130 places. Sa maire s’est étonnée de n’avoir vu arriver que... sept réfugiés syriens. Et ce n’est pas un cas isolé. Onze maires de Haute-Garonne s’étaient aussi proposés, au final une seule famille s’est installée près de Toulouse. La situation est identique dans tout l’hexagone.
Eurostat, l’organisme de statistiques européennes, indique qu’au niveau européen, c’est 1,3 % des demandes d’asile de Syriens qui sont effectuées en France. Celle-ci se retrouve ainsi derrière la Belgique, qui compte six fois moins d’habitants mais accueille deux fois plus de Syriens. Sur l’année 2015, seuls 5000 Syriens ont demandé et presque tous reçu leur droit d’asile en France.
L’arrogance du gouvernement
Le gouvernement socialiste ne se contente pas d’être lâche et répressif avec les familles demandeuses de protection, mais il se permet de critiquer la politique allemande envers les migrants.
Valls s’est ainsi permis de déclarer lors d’un déplacement en Allemagne : « Il y a quelques mois les médias français demandaient : où est la Merkel française ? Ils voulaient même lui donner le prix Nobel de la paix. Aujourd’hui on constate les résultats », en précisant que l’Europe ne pouvait pas « accueillir plus de réfugiés ». A l’heure où il tenait ces propos, en février dernier, la France, prétendument disposée à prendre 30 000 réfugiés sur deux ans, en avait accueilli... 140 !
Commentant la prestation du Premier ministre français à Munich, le journal allemand Süddeutsche Zeitung s’est moqué en rappelant qu’en 1685, le grand électeur Frédéric Guillaume avait signé un édit offrant refuge aux Huguenots français pourchassés après la révocation de l’édit de Nantes. La Prusse n’eut pas à le regretter...
De saines réactions
Face à cette attitude du gouvernement, des personnalités ont protesté haut et fort. 800 cinéastes, écrivains, philosophes, chercheurs et intellectuels ont ainsi lancé un appel en octobre 2015. Ce texte note que « certains assènent à l’infini leur équation de haine : étrangers = immigrés = sans papiers = clandestins = indésirables = délinquants = terroristes. L’étranger est un terroriste qui s’attaque à notre mode de vie, notre religion, notre culture notre modèle social, nos traditions culinaires et vestimentaires. Il est un "fardeau insupportable", une menace, un risque, qu’il est légitime de repousser coûte que coûte, avec les sections d’assaut idéologique du Front national. »
Dans une lettre ouverte à Anne Hidalgo, la journaliste et réalisatrice franco-tunisienne, Hind Meddeb, souligne que « l’expulsion violente des migrants qui occupaient le lycée Jean Jaurès à Paris mercredi 4 mai à l’aube n’est pas une «mise à l’abri» de plus mais bien le signe d’une alliance qui ne dit pas son nom entre la droite dure qu’incarne Valérie Pécresse – présidente de région, qui a obtenu cette décision judiciaire – et la «gauche» de gouvernement qui l’a mise à exécution de manière violente. Le message envoyé au monde est clair : "La France n’est plus une terre d’accueil. La France n’est plus une terre d’asile." »
Le rapport rendu récemment par le Défenseur des droits, Jacques Toubon, un politicien de droite, constate une « banalisation, dans les esprits et dans le droit, du traitement différencié des individus en raison de leur nationalité ». Une de ses conclusions est que les étrangers ne sont pas victimes de quelques mesures prises à leur encontre, mais d’un dispositif législatif restreignant systématiquement leurs droits. Prenant à contre-pied les fantasmes répandus par l’extrême droite bien sûr, mais aussi de plus en plus par la gauche, selon lesquels les immigrés s’en prendraient à « nos valeurs », ce texte insiste : « l’immigration est un fait social consubstantiel à la construction de la France et d’une partie de l’Europe. Aucune période de l’histoire de l’immigration n’a modifié le socle des valeurs républicaines communes ».
Il pointe du doigt le sort réservé aux mineurs non accompagnés – entre 8000 et 10 000 –, et les obstacles administratifs auxquels ces jeunes sont confrontés pour demander l’asile. Le défenseur regrette aussi que les personnes ayant demandé l’asile ne puissent accéder au marché du travail avant neuf mois de présence en France, ce qui les rend extrêmement vulnérables. Autre problème : la France a imposé en 2013 aux ressortissants syriens un visa de transit aéroportuaire (VTA), leur interdisant d’entrer librement sur le territoire à l’occasion d’une escale. Dans les faits, s’indigne le rapport, cette politique « contraint nombre des intéressés à opter nécessairement pour d’autres moyens de circulation, illégaux et périlleux, alors même que le droit de quitter son pays – le droit d’émigrer – constitue un droit fondamental. Or ce sont ces mêmes personnes qui, au cours de leur parcours migratoire, et à défaut d’avoir emprunté les voies légales d’arrivée sur le territoire français, vont se retrouver dans une situation de très grande vulnérabilité et souvent contraintes de vivre dans des conditions indignes, à Calais ou dans d’autres lieux frontaliers tout aussi précaires ». Aussi le Défenseur des droits demande-t-il la suppression de ce visa.
Régine Vinon