Entretien. Alors que le Front national profite à plein de la situation sociale et politique, des attentats aux « affaires » (dont il n’est pourtant pas épargné...), nous avons rencontré Luz Mora, militante syndicale de Solidaires Travail Affaires sociales, qui est une des animatrices de VISA (Vigilance et initiatives syndicales antifascistes). Depuis 1996, ce collectif regroupe des militantEs syndicaux qui analysent et dénoncent les incursions du FN et de l’ensemble de l’extrême droite sur le terrain social, dans les entreprises et les services...
Le FN, repris par les médias, communique beaucoup autour de l’idée qu’il serait le premier parti des ouvriers au niveau électoral. Quelle en est la réalité ?
Évidemment, c’est beaucoup plus compliqué. Il est maintenant bien établi, par différentes recherches universitaires, que les ouvrierEs et employéEs constituent en gros la moitié du vote FN. Mais si on tient compte de l’abstention et des non-inscritEs, c’est en fait en gros une personne sur 7 appartenant à ces catégories qui votent FN.
Le vote FN des fonctionnaires a augmenté depuis les années 2000. En moyenne, c’est entre 22 et 26 % des intentions de vote qui se tournent vers le FN. À l’intérieur, on a des petites variations selon les différents versants de la fonction publique et entre les différentes catégories.
Mais en fait, peu importe : à ce niveau, pour VISA, c’est déjà trop ! Les syndicalistes, au contact quotidien des salariéEs du public et du privé, ont une responsabilité : celle d’empêcher leurs collègues de voter pour ce parti qui va contre leurs intérêts ! Pour les arguments, c’est juste de la formation syndicale et un peu de lecture pour les maîtriser. C’est le plus simple. Mener la bataille, c’est une volonté collective, dans le syndicat.
Quelle est ton appréciation du profil du FN dans cette campagne électorale ? Quel électorat cherche-t-il à séduire ?
Le FN va tout tenter pour se faire élire, en particulier sa présidente. Évidemment, on retrouve la constante « priorité nationale », les attaques sur les étrangers (par de multiples vecteurs) et les habituels discours et promesses sur la sécurité. C’est le ciment de l’électorat. Pour le reste, le but est de proposer tout et son contraire : un « État stratège » et une diminution des obligations qui pèsent sur les boîtes ; des prétendues augmentations de pouvoir d’achat, la prétendue conservation de la protection sociale et des baisses massives de cotisations et des aides aux boîtes...
On remarque toutefois plusieurs nouveautés : Marine Le Pen s’adresse souvent aux femmes, sous un angle sécuritaire et raciste qui ne résout évidemment aucun des problèmes qu’elles rencontrent.
La campagne en direction des entreprises, en particulier des TPE-PME, est cette fois-ci beaucoup plus prégnante. D’ailleurs le projet présidentiel, les 144 propositions, s’en ressent. Beaucoup de choses sont promises aux patrons, et des promesses aux salariéEs existent, mais elles sont moins mises en avant.
Un autre fait notable : si Marine Le Pen a démarré sa campagne sous le signe de « la France apaisée », avec les affaires et les mises en examen, elle joue la vieille partition d’extrême droite du « complot du système » pour tenter de bâillonner le FN, allant jusqu’à menacer les fonctionnaires qui se compromettraient avec ce complot. Et ça, c’est pas trop apaisé...
Les militantEs de VISA perçoivent-ils une poussée réactionnaire ?
Si les réflexions et comportements racistes existent depuis longtemps sur les lieux de travail, y compris parfois dans l’organisation même du travail (rappelez-vous la grève des ouvriers de Peugeot à Poissy dans les années 1980), il est certain que les succès électoraux du FN permettent de leur donner une légitimité.
Le FN tracte devant les boîtes depuis le milieu des années 1990 : la différence, c’est qu’aujourd’hui, il est de plus en plus banalisé et donc pas empêché de le faire. Il est même invité, au même titre que d’autres partis, par certains syndicalistes, pour « faire un tour » dans les boîtes. C’est certes marginal, mais c’est révélateur.
On peut pas vraiment dire qu’il existe une poussée réactionnaire, ni vraiment la dater. Par contre, on constate en effet qu’elle s’exprime, qu’elle s’affiche, que le racisme, l’homophobie, le fait de voter FN, se sont banalisés.
Les militantEs de VISA sont avant tout des militantEs syndicaux : comme les camarades que nous côtoyons lors de nos activités, nous constatons bien qu’il est devenu presque « normal » de développer ce genre de discours, et difficile d’agir pour convaincre du contraire. Comme d’autres militantEs syndicaux, on discute et on agit pour que ça ne s’étende pas, pour convaincre du contraire, soutenir les victimes, expliquer que ce type de propos ne résout en rien la situation quotidienne de nos collègues.
Comme tout le monde, on a des petites victoires, et parfois, des déceptions. Ce sont les discussions, les échanges de « tuyaux » qui nous permettent de revenir à la charge, et nos convictions syndicales. Nous avons, nous syndicalistes, une responsabilité collective, et avons aussi à nous occuper des conditions de travail, d’emploi, des problèmes quotidiens des collègues.
Devant ces responsabilités, il est indispensable de créer une unité syndicale pour refuser ce type de propos ou de comportements.
Quel rôle peut jouer VISA durant ces prochaines semaines pour y répondre et par quels moyens ?
On fait comme d’habitude, mais à un rythme plus rapide : en ce moment, on enchaîne les formations syndicales, les interventions en congrès, dans toute la France.
Récemment, on a mis en ligne sur notre site1, en plus de nos brochures, quelques textes téléchargeables gratuitement sur des points précis du programme présidentiel du FN, pour que les syndicalistes aient des argumentaires récents à utiliser sur les lieux de travail, dans les journaux syndicaux... VISA 13 a récemment édité un petit outil, « Comment combattre le racisme au travail », qui est aussi sur notre site.
On participe à la rédaction des articles du site « droitsfemmescontreextremesdroites.org », et on continue à mettre en ligne le matériel syndical de tous les syndicats sur notre site.
On poursuit aussi nos chroniques périodiques « Lumières sur mairies brunes », où on recense les faits et méfaits des maires d’extrême droite depuis 2014.
Pour les francilienEs, nous organisons, au côté des instituts de formation de la FSU, de Solidaires et de la CGT, et d’éditeurs (dont nos camarades de Syllepse, notre éditeur), un « Salon du livre antifasciste » le 9 avril à Montreuil (93).
Propos recueillis par Manu Bichindaritz