Éditions du Détour, 256 pages, 18,90 euros. Préface de Ludivine Bantigny, postface de Jean-Luc Einaudi.
Abdallah Bacha, Larbi Daoui, Abdelkader Dranis, Mohammed Isidore Illoul, Medjen Tahar, Amar Tabjadin et Maurice Lurot ont été assassinés par la police française le 14 juillet 1953, place de la Nation à Paris. Ces sept hommes – six travailleurs algériens et un militant de la CGT – participaient au traditionnel défilé Bastille-Nation du 14 Juillet, qui constituait depuis 1936 et jusqu’aux années 1950 une fête populaire. Le cortège est décrit comme très sage, plutôt festif, semblable aux années précédentes. Arrivés place de la Nation, des militants du « Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques » (le MTLD, parti nationaliste algérien) qui ferment la marche, déploient une banderole sur laquelle est écrit « Peuple de France, en défendant tes libertés, tu défends les nôtres », apparait alors le mot d’ordre « Nous voulons l’indépendance » et des milliers de voix scandent « À bas le colonialisme ! » C’est à ce moment que les forces « de l’ordre », qui ne supportent pas la dénonciation du colonialisme, se déchainent, matraquent les manifestantEs et tirent dans le tas, faisant sept morts et de nombreux blessés.
Un massacre oublié
Dans son livre 1953, un 14 juillet sanglant, écrit en 2003, Maurice Rajsfus revient sur un évènement tragique oublié de l’histoire, qui précédera de huit ans le massacre perpétré par la police le 17 octobre 1961, lequel fera plusieurs centaines de morts et de disparus algériens.
Cinquante ans après la tuerie du 14 juillet 1953, Maurice Rajsfus, par le biais d’une annonce passée dans l’Humanité, a retrouvé des témoins de cette manifestation, pas les militants les plus aguerris puisque beaucoup ont disparu, mais il a pu recueillir des paroles précieuses.
Il a aussi fait un travail colossal d’analyse du traitement médiatique de l’évènement en décortiquant la presse militante mais aussi la presse dominante (quotidienne et hebdomadaire) de droite comme de gauche, les communiqués de députés, de ministres… faisant ainsi apparaitre le positionnement de chacun face au colonialisme et plus précisément face à la lutte pour l’indépendance de l’Algérie – mais aussi la justification ou non des violences policières.
Ce livre rappelle que les violences policières et le racisme d’État sont une vieille tradition française, Rajsfus a écrit de nombreux ouvrages à ce sujet et ne mâche pas ses mots : « Cinquante ans plus tard, la police consacre toujours une partie notable de ses activités à pourchasser, dans les cités, les jeunes issus de l’immigration algérienne. […] La haine du "bougnoule" est toujours tenace chez nos polices, et la pratique brutale, de rigueur. »
C’est un livre formidable, très documenté, réédité dans une jeune maison d’édition, les Éditions du Détour, qui s’est donné comme objectif de publier chaque année quatre textes de Maurice Rajsfus.