Alcheringa, n°1, Paris, Éditions Surréalistes, janvier 2019.
Dans un article de 1962, « Main première », André Breton faisait référence au mot « Alcheringa », qui signifie, dans le langage des aborigènes australiens, « le temps des rêves ». C’est ce mot qu’a choisi le Groupe surréaliste de Paris pour titre de sa nouvelle revue, dont le premier numéro vient de sortir.
« Jeunesse de la révolte et imagination sans entraves »
Richement illustrée avec des peintures de Guy Girard, Rik Lina – objet d’une étude par Claude-Lucien Cauët – et Sergio Lima (surréaliste brésilien), de nombreux collages, des dessins de Virginia Tentindo, des photomontages de Pierre-André Sauvageot, la revue porte en couverture la photo d’un étrange objet aérien de la jeune artiste Élise Aru, intitulé Aquarium des rêves. On trouve dans Alcheringa, serties dans ses pages comme autant d’agates des rivières, des poèmes, des récits de rêve, des contes (Bertrand Schmitt), des essais sur la liberté (Alfredo Fernandes) ou sur l’amour (Joël Gayraud), des comptes rendus de livres et d’expositions – notamment une « onirocritique » par Sylvain Tanquerel de l’exposition intitulée Libre Moiseau du peintre et cinéaste Michel Zimbacca. Sans oublier les jeux, cette activité surréaliste collective, ludique et sacrée : par exemple, un jeu d’interprétation du rêve d’une personne inconnue (il s’agissait de Sigmund Freud !).
Dans l’éditorial de cet étonnant OCS (objet culturel subversif ), Guy Girard affirme : « Il s’agit de dire non à tous ces systèmes d’oppression, de domination, d’aliénation des corps et des esprits qui font l’emprise de la civilisation capitaliste, pour laquelle n’est véritablement réel que ce qui est produit par la rationalité marchande ». L’objectif ambitieux que se donne la revue, c’est rien moins que d’« inciter à conjuguer au temps du rêve l’insolente jeunesse de la révolte et de l’imagination sans entraves ».
La solidarité avec les luttes émancipatrices fait partie de la longue tradition révolutionnaire des surréalistes. Dans ce premier numéro d’Alcheringa, ils rendent hommage au Chiapas et au Rojava, « une constellation rouge et noire » : ce que le Chiapas zapatiste et le Rojava kurde (nord de la Syrie) ont en commun, malgré leurs différences évidentes, c’est l’auto-organisation à la base, les refus des logiques capitalistes et étatiques, et la lutte pour l’égalité entre hommes et femmes. Si le mouvement zapatiste, l’héritier de 500 ans de résistance indigène au colonialisme et au capitalisme, a réussi à imposer, face à l’État mexicain, une fédération de communes autonomes, l’expérience du Rojava est une petite flamme d’utopie dans une région du monde déchirée par l’intolérance religieux, les combats exterminateurs entre nationalismes, la violence aveugle, les guerres entre clans plus réactionnaires les uns que les autres, les interventions de puissances impérialistes rivales.
Les lecteurs intéressés par cette plongée dans le temps des rêves – qui est aussi un temps des luttes – peuvent se procurer un exemplaire à la librairie La Brèche.
Michael Löwy