Scénario, dessin et couleurs d’Aude Picault. Dargaud, 148 pages, 19,99 euros.
Aude Picault ne nous fait pas de cadeau ! Parce que, vraiment, on a envie que ça s’arrête, on se dit qu’il va se passer quelque chose, on s’impatiente, va-t-elle craquer, Amalia ? Va-t-on en finir ? Mais au lieu de cela, la nasse se resserre peu à peu, s’étire et n’en finit pas de se refermer... Les planches mêmes du livre, foisonnantes, chargées, d’une densité incroyable, traversées par les cris, par le bruit, onomatopéisées à charge, incarnent le piège qui se referme ! Alors, c’est sûr, Amalia va craquer. Mais, contre toute attente, si Amalia subit, si Amalia supporte, Amalia fait face vaillamment et tient bon !
Amalia n’a pas envie
Amalia supporte les pleurs de la petite Lili, la pauvre petite Lili dont les journées se terminent invariablement par des histoires de princesse (dont Amalia n’oublie pas de lui rappeler que ça ne se passe jamais comme ça dans la vraie vie). Amalia supporte (plus ou moins) les frasques de Nora, la fille de son compagnon Karim, ado idéal-typique, dont la vie s’organise, malgré les cris de son père, autour de son smartphone, des réseaux sociaux et de la recherche de followers... Amalia supporte (de moins en moins) les humeurs de Karim, à cran en permanence, lui qui ne supporte ni sa fille ni les humeurs de la mère de sa fille (son ex, quoi) et qui s’emporte souvent au grand bénéfice de l’ambiance familiale ! Et il faut qu’Amalia supporte, jusqu’à la dernière minute de ses journées d’enfer, les réflexions amères de son partenaire qui lui reproche évidemment de ne pas avoir envie !
Intolérante au rendement !
Elle va craquer, c’est sûr, et plus ça dure, plus on pense que ce que subit Amalia, au boulot, va en venir à bout – Karim est assez bien servi aussi, d’ailleurs. Mais Amalia tient ! Elle tient si longtemps que le lecteur – qu’en dit la lectrice ? – s’enfonce doucement dans le récit par le bout de la vie qui s’épuise. Il reçoit en pleine face l’histoire de cette famille comme le miroir de sa propre vie, qui ressemble décidément terriblement à la caricature qu’en dépeint Aude Picault ! On se dit non, ce n’est pas possible, elle n’est pas ainsi, ma vie... Mais au bout de quelques pages, difficile de penser sincèrement qu’elle décrit la vie des autres, cette réalité qui, finalement, conduit Amalia à s’écrouler au nom de « l’intolérance au rendement » ! Alors quand Amalia craque, quand Amalia se libère, quand apparaît l’embellie, le lecteur se dit qu’il est vraiment temps d’éteindre la radio et d’écouter « Clémence en vacances », la chanson d’Anne Sylvestre…