Scénario de Jean Michel Dupont et dessin de Eddy Vaccaro. Glénat, 2017, 20,50 euros.
Une rencontre entre des « gueules rouges » et des « gueules noires » n’aurait rien de surprenant dans le Wyoming (USA), sauf que le récit de cette BD se déroule dans le nord de la France et en 1905. Une histoire est inspirée de faits authentiques.
Le cirque de Buffalo Bill et de ses Sioux sillonne la France et la Belgique en 1905. Un événement pour le pays valenciennois et un bouleversement pour le jeune Gervais, 12 ans, qui ne rêve que de découvrir le monde en lieu et place des terrils et du carreau de la mine, où son père veut le contenir contre l’avis de l’instituteur laïc et colonialiste. Le gamin déjoue la surveillance de ses parents et des gardiens du cirque de Cody pour parvenir à pénétrer sous le chapiteau où il peut suivre le fabuleux spectacle. Repéré par les gendarmes, il ne parviendra à fuir qu’avec la complicité de deux Indiens (White Eagle et Setting Sun) qui le cachent puis le ramènent chez lui sur leurs fières montures.
Quelques pages auparavant, les auteurs nous racontaient l’horrible vie des chevaux cantonnés au fond de la mine et aveugle au bout de quelques mois seulement. La rencontre entre les mineurs et les Sioux commence donc par ce vif contraste rapidement effacé par la consommation de nombreuses bouteilles de genièvre. Las ! La petite fille de 5 ans du directeur de la mine a été sauvagement assassinée pendant la nuit de la représentation alors qu’elle avait échappé à sa gouvernante pour essayer elle aussi de rejoindre le cirque. Qui d’autres que les « sauvages » auraient pu commettre un tel forfait et laisser à proximité du cadavre mutilé une bouteille de genièvre ?
Tout l’intérêt de la BD réside dans la réaction des différentes composantes du monde de la mine. Du syndicaliste anarchiste aux prostituées qui prennent fait et cause pour les Indiens tandis que « Monsieur le Curé » et les notables appellent au lynchage des Indiens, sans foi ni loi...
Les planches au trait charbonneux d’Eddy Vaccaro accentuent cette différence de classes tandis que nombre d’allusions rappellent que l’année 1905 marquera la séparation de l’Église et de l’État, cela au grand dam du curé qui voue les laïques aux flammes de l’enfer en pleine prêche. Des flammes qui n’épargneront pas les mineurs, puisque la catastrophe de 1906 tuera plus de 1 000 ouvriers d’un coup, en attendant la « der des der » où notre gamin, devenu adulte, croisera à nouveau un éclaireur sioux dans les tranchées de la mort.
La BD témoigne sans lourdeur de la cruauté d’une société, colonialiste à l’intérieur comme à l’extérieur, où les « sauvages » ne sont pas ceux que l’on croit. Le cirque de Buffalo Bill en témoigne, comme les rares échappées bleues du dessinateur et coloriste alimentent la flamme de l’espoir.
Sylvain Chardon