Éditions Albin Michel, Le Livre de poche, 396 pages, 8,20 euros
«Une loi votée récemment contraignait les chômeurs à travailler bénévolement sur les chantiers du gouvernement s’ils voulaient continuer à percevoir leurs allocations et bénéficier des droits sociaux. Un système de bracelets électroniques permettait un contrôle drastique de leur assiduité à l’emploi » : non, ce n’est pas encore tout à fait la situation dans notre pays mais celle que Gérard Mordillat sent venir et qui sert de contexte à Ces Femmes-là. Sorti en 2019, avant l’épisode des Gilets jaunes, avant les lois liberticides et les mesures islamophobes prises par le gouvernement Macron, et récemment réédité au Livre de poche, cette dystopie nous happe du début à la fin (qui n’en n’est peut-être pas une).
Appel à la résistance joyeuse et sans concession
Nous sommes en 2024, quelques mois avant les Jeux olympiques, et un régime autoritaire dirige la France : les médias sont au service de l’État, les forces de l’ordre paramilitaires sont omniprésentes, les droits sociaux sont bafoués, la censure et les emprisonnements des opposants sont légion... Le gouvernement (faisant une grande place aux représentants du patronat et de l’armée et auquel participent quelques ex-socialistes) a décidé d’expulser touTEs les musulmanEs, et dans un premier temps de les installer dans des ghettos. Devant cette accélération de la dérive dictatoriale, voire fascisante, le syndicat (il en reste encore un, vitrine démocratique oblige), des parents d’élèves, des militantEs divers organisent alors une immense manifestation de protestation. En face, les pro-gouvernementaux organisent la leur. Un groupe d’extrême droite, sachant la passivité des forces de répression (c’est un euphémisme) à leur endroit, va tenter de tuer les dirigeants syndicaux en tirant sur la tête de manif. Un groupe islamiste veut faire de même vis-à-vis l’autre rassemblement. Un groupe anarchiste a décidé lui de s’en prendre aux responsables et va s’attaquer au siège du patronat.
Dans ce roman choral, Mordillat donne chair à une cinquantaine de personnages : des prolétaires aux ministres, des adolescents aux grands-parents, des femmes aguerries et inflexibles aux amoureuses transies. Tour à tour ielles1 racontent ces trois jours – avant, pendant et après la manifestation, la répression sauvage et le chaos qui s’ensuit.
Si les personnages masculins (au pouvoir dans les différents groupes en présence) sont bien dépeints avec leurs contradictions, c’est le parcours en accéléré des femmes, leur émancipation, qui intéresse et touche. Femme de, amie de, sœur de, maitresse de, employée de, c’est une immense et impétueuse vague de « je », libératrice, collective et solidaire, qu’elles lancent au monde.
In fine, Ces femmes-là nous appellent à la résistance joyeuse et sans concession face aux dangers qui montent.
- 1. Spéciale dédicace à Jean-Michel Blanquer