Publié le Samedi 7 janvier 2023 à 13h00.

Deux films féministes : Annie Colère, de Blandine Lenoir et She said, de Maria Schrader

Annie Colère, de Blandine Lenoir, film français, 1 h 59 min, sorti le 30 novembre 2022

She said, de Maria Schrader, film américain, 2 h 09 min, sorti le 24 novembre 2022

Fin 2022, deux films bouleversants de réalisatrices – l’un français, l’autre américain – sont sortis. Ils retracent deux moments importants du combat féministe. Il s’agit de « Annie Colère » et « She said ».

Annie Colère nous (re)plonge dans toute une époque, celle de 1974, avant la dépénalisation de l’avortement, celle où les femmes recouraient aux aiguilles à tricoter, et se faisaient traiter de salopes si elles arrivaient à l’hôpital pour un curetage… Annie a déjà deux enfants. Elle ne se voit plus revivre la maternité, les couches, les nuits à se réveiller. Elle travaille à l’usine, n’est pas une militante… « Tous ces machins politiques, c’est pas pour moi », dit-elle. Elle décide d’avorter. En poussant la porte d’une librairie, sa vie va basculer. Elle rencontre le MLAC (mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception), ses militantes et ses militants, qui pratiquent des avortements illégaux aux yeux de toutEs.

La bataille pour le droit à l’avortement en 1974

Annie y découvre l’engagement au cours de la bataille pour l’adoption de la loi sur l’IVG, les discussions interminables entre militantEs dans lesquelles Annie ne prend que très peu part au début. Peu à peu, à travers une lutte collective, sa confiance en elle grandit. Alors, elle se forme pour pratiquer elle-même cette méthode Karman. Ce film est une ode à la sororité. Des portraits sublimes de femmes qui retrouvent au sein de ce collectif, le soutien et l’entraide. Des moments très émouvants comme celui où Monique chante une berceuse grecque, dans une des premières séquences d’avortement, celle d’Annie. Des moments d’écoute intense entre femmes pour entendre les récits de celle à qui le mari refuse la pilule (des fois que cela la rende frigide...), de la jeune fille qui a été violée, de celle qui a été abandonnée à l’annonce de la grossesse.

Ce film raconte aussi le combat jamais terminé des femmes à disposer de leur corps. La loi sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG), Giscard s’est vu obligé de la soumettre au Parlement, pour acheter la paix sociale. Un épisode est très éclairant vers la fin quand les questions surgissent : et maintenant, on fait quoi ? Faut-il continuer ces avortements pour gagner encore plus ? Une loi a été adoptée mais avec des restrictions (clause de conscience, délai limité, droit non ouvert pour les étrangères et les mineures sans consentement parental, et le coût), et elle permet au corps médical (alors très majoritairement masculin) de se réapproprier le pouvoir sur le corps des femmes. Au MLAC, au contraire, les IVG, rappelons-le, étaient pratiqués par les militantEs, la plupart du temps des femmes qui n’étaient pas du corps médical.

Annie, c’est Laure Calamy, formidable actrice qui donne vie à cette femme ouvrière qui se transforme, s’épanouit et trouve dans la lutte collective un nouveau sens à sa vie. Annie réinvente toute sa vie, sociale et personnelle après sa rencontre avec le MLAC. L’itinéraire d’une prise de conscience féministe, l’histoire d’une émancipation !

Donner la parole aux victimes des violences à Hollywood

Autre époque, autre lieu. Octobre 2017, aux États-Unis. L’onde de choc de MeToo commençait avec la publication d’un article dans le New York Times, sur le prédateur Harvey Weinstein à Hollywood.

She said est le film de la réalisatrice allemande Maria Schrader — on lui doit la remarquable série Unorthodox — adapté d’un livre qui retrace la longue et difficile enquête que deux femmes journalistes, Jodi Kantor et Megan Twohey, ont menée pour faire tomber le producteur. Harcèlements et violences sexuelles ont été couvertes au long de trois décennies par le système hollywoodien, à grands coups de chèques, accords sordides de confidentialité pour obtenir le silence des victimes. Elles vont pourtant arriver à briser l’omerta sur des agissements qui sont connus par toute une partie de l’industrie cinématographique.

Faire comprendre les violences sans les montrer

Mais comment mettre en scène les violences sexuelles ? Le film donne une réponse, elles ne sont pas montrées. En revanche, on voit les visages des victimes, hantées par les souvenirs et on écoute leur parole, autant que leurs silences. L’impossibilité à pouvoir dire est montré, tout comme leur douleur et leur incroyable courage à oser dénoncer l’agresseur.

She said n’est pas seulement une longue investigation sur les violences sexuelles, mais c’est aussi un passionnant récit sur les femmes, leur courage et leurs conditions de vie, qu’elles soient journalistes ou victimes. Elles sont également des mères et des épouses et elles doivent toutes composer entre leur vie professionnelle et personnelle (la maternité, la dépression post-partum, le sexisme ordinaire...).

Lors d’une scène bouleversante, une des victimes se confie sur ce qu’elle a vécu vingt ans plus tôt dans une nuit londonienne. Une femme écoute une autre femme, tout simplement. Moment de grande sororité.

Alors, si vous ne les avez pas encore vus, courez vite voir ces deux films qui racontent deux instants essentiels des luttes féministes. Les combats menés par Annie, Megan, Jodi et les autres femmes sont notre affaire à toutes, pour en finir avec un système qui protège les dominants et les agresseurs !