Alors qu’il se produisait à Port-Leucate dans le cadre de l’université d’été du NPA, Saïdou, MC principal du groupe ZEP, a pris le temps de répondre à nos questions.
Peux-tu nous parler de l’actualité de Zep ?On est en tournée. Le projet de Zep, c’est d’être sur la route, sur le terrain. Quand nous disons sur scène et dans le disque « sortir de l’invisibilité », ça veut dire porter la parole. Qui d’autres que nous, peut porter notre parole, c’est-à-dire nos revendications, nos critiques, notre colère ? Nous sommes concernés par ce qui nous handicape le plus au quotidien, c’est-à-dire notre condition – arabe pour ma part – dominés, discriminés, « racisés », en France. Ce qui me touche dans ma chair. Je suis fils d’ouvrier, enfant de famille paysanne algérienne immigrée en France, je suis donc aussi de culture politique prolétaire et évidemment que les conditions de vie de nos parents, des chibanis, des travailleurs immigrés mais aussi de toute la classe ouvrière me préoccupent. Cela fait partie de mon combat au nom de ma communauté de destin. Mais c’est vrai que la question raciale me touche beaucoup plus, parce qu’on me rappelle tous les jours que je ne suis pas le bienvenu dans ce pays, pas légitime, pas crédible. Ce discours rencontre un écho relativement important, votre album et vos passages sur scène sont très bien accueillis en général.Notre discours peut intéresser des gens. Chaque jour quand je joue, je rencontre des gens qui n’ont jamais entendu de discours qui dénoncent le paternalisme, le néocolonialisme. Mais notre parole n’existe pas dans l’espace politique et médiatique, elle est censurée. On passe dans certains endroits mais, pas forcément accessibles à tous, des petits festivals où les gens n’ont pas toujours le réflexe d’aller. Mais j’ai l’impression de participer à un combat avec d’autres. Si tu devais écrire en ce moment, au vu de l’actualité, qu’est-ce qui t’inspirerait davantage ?Tout ce qui se passe dans le monde et arrive à mes oreilles me touche et me préoccupe. J’ai l’impression d’écrire des réponses. Notre discours est reçu, critiqué et provoque des incompréhensions, des rejets, il crée de la colère. Certains se sentent humiliés par mes chansons. Ces retours me touchent. Ça me met en colère de ne pas être compris. Je ne pense pas continuer ce métier longtemps, j’ai peur d’être folklorisé. On est réduit à quelque chose de festif, une animation, alors que je porte un discours en chanson. Et c’est là que c’est risqué parce qu’une chanson fait aussi rêver, danser, et certains ne viennent chercher que la partie festive. Dans votre album, tu as samplé les sons de certaines manifestations. En concert, tu fais reprendre à ton public les slogans de nos mouvements. Cela montre un réel ancrage dans le mouvement social et politique de ZEP… J’ai toujours peur de voler la vedette aux vrais héros à ceux qui méritent les honneurs. Je ne suis pas un porte-parole de luttes mais je suis nourri de ça. Mon énergie j’ai été la chercher, par exemple, chez les sans-papiers de Lille. Pas seulement dans les manifs mais aussi dans les réunions, avec leur histoire, leur discours, leur courage. Les sans-papiers ont une histoire, une identité politique, ils ne sont pas que des sans-papiers. Ils viennent du Sénégal, d’Algérie, du Maroc, c’est un acte politique pour beaucoup d’être là, de défendre leurs droits, d’exiger des papiers... Ces gens-là t’apportent une vision du monde différente, un regard d’ailleurs. Ça fait du bien. Ça te nourrit, te donne du courage, de l’énergie. Je leur dois beaucoup, mais c’est comme ceux qui luttent pour la Palestine. Mes références politiques viennent des sans-papiers mais aussi de Palestine où je me suis rendu... Il a fallu que j’aille rencontrer, que je me déplace, que je voyage, mais ce n’est pas donné à tout le monde, il est difficile de sortir de son quartier, on n’a pas toujours les moyens. Vous avez été la cible ces derniers mois d’une campagne identitaire, raciste et islamophobe qui cherchait, notamment, à faire annuler vos concerts. Comment l’analyses-tu ?L’Europe se fascise de plus en plus. Pour eux, les identitaires, il s’agit de mobiliser. Dans ce cadre-là, on leur sert d’outil : ils ont besoin de gens comme nous pour faire peur. Ainsi, ils ont décidé de faire de nous un exemple. Régulièrement quand on joue, ils appellent à nous faire taire : en menaçant la salle qui nous reçoit de venir foutre le bordel ou en nous menaçant directement nous et notre public. Par ailleurs, des choses extrêmement islamophobes et racistes circulent sur internet… Des rappeurs qui critiquent la France sans concession : nous sommes une cible parfaite. Quand on a sorti notre projet, des gens de tous bords ont eu les poils hérissés sur ce qu’on pouvait raconter. Même certains de nos alliés qui se considéraient comme moteur, porte-parole de l’antiracisme, quand on leur dit que nous le racisme on le vit et qu’on a la méthode pour lutter contre, ça peut déranger, jusqu’à l’extrême gauche. Il y a des « camarades » d’extrême gauche qui ont changé de position quand ils ont vu que les néonazis avaient le même genre de critiques avec les mêmes arguments ! Dommage d’en arriver là ! Maintenant, on devient un outil antifasciste. Mais moi, je n’ai pas envie d’être un outil antifasciste, je me bats pour l’égalité d’abord. S’il y avait l’égalité, je pense qu’il n’y aurait pas de fascisme. Ce ne sont pas les néonazis qui décident s’il y a l’égalité ou pas dans ce pays, c’est nous tous.
Propos recueillis par Mary Sonet