Publié le Mercredi 25 janvier 2017 à 16h19.

Essai : Adieux au capitalisme

Jérôme Baschet, La Découverte, 2016 (réédition), 8,50 euros. 

Précédemment publié en 2014 et réédité en poche, cet ouvrage s’ouvre sur une dénonciation du capitalisme comme « système humanicide » et un retour sur les « ruptures historiques du néolibéralisme », la constitution d’un marché mondial évidemment, mais aussi les mutations du travail et ce qu’il appelle le « formatage concurrentiel des subjectivités »...

L’auteur écarte toute auto-réforme, toute atténuation des caractères les plus destructeurs du capitalisme, mais il pointe des potentialités techniques susceptibles d’être positives (énergies renouvelables, le numérique qui permet des formes de production et d’échange fondées sur la gratuité et la coopération), potentialités qui supposent de sortir du capitalisme pour que la gratuité l’emporte sur la marchandisation. Très opportunément, cette analyse lie intimement crise économique et crise écologique dans une critique antiproductiviste.

Le sous-titre annonce la couleur : « Autonomie, société du bien vivre et multiplicité des mondes ». C’est à partir de l’expérience rebelle des zapatistes qu’est posée la question de l’autoémancipation et de l’autogouvernement. Autonomie donc mais pas comme simple projet local ou spécifiquement « indien » mais s’adressant à tous les peuples du monde. La question posée par Jérôme Baschet est celle de l’État. Se réclamant de Marx et de la critique « des dévoiements auxquels le fétichisme de l’État a conduit les efforts révolutionnaires du 20e siècle », il propose de dégager les projets d’émancipation de leur « asservissement à la forme étatique ». Sans présenter une formule institutionnelle comme garantie contre la reconstitution d’une séparation entre gouvernants et gouvernés, il plaide pour une construction qui parte d’en bas.

Une lecture pour « rouvrir le futur »

Sur la question du travail, sont défendues à la fois une réduction radicale de la durée (12 ou 16 heures par semaine) et la dé-spécialisation généralisé, une société dans laquelle le « temps disponible » n’est pas un reste mais l’essentiel, par opposition au temps libre de la société capitaliste qui n’est que l’envers du travail, son complément voué à la consommation… Sur la question des moyens de production, l’auteur pointe à juste titre que l’on ne peut se limiter à un changement dans le régime de propriété et à la planification, qu’il faut rompre avec la logique de la production-pour-la-production-et-pour-le-profit... Une rupture qui induit la fin l’hégémonie de l’économie sur l’ensemble des aspects de la vie.

Multiplicité des mondes : il n’y a pas une voie unique pour construire un monde libéré de la tyrannie du capitalisme. Cette conviction s’appuie sur une unité de l’humanité qui ne nie pas sa diversité, sur un nouvel universalisme fort éloigné de celui des Lumières qui n’est que l’universalisation de valeurs européennes, sur une autre conception de l’humain et des rapports entre humains et non-humains.

Jérôme Baschet élimine sans hésitation l’option « travailler le système de l’intérieur » soit dans sa version qui voit l’État comme contrepoids à la logique marchande, soit dans celle qui mise sur les tendances libératrices des nouvelles technologies. Reste entière la question des moyens de la rupture… Mais son ouvrage permet de « rouvrir le futur », alors que l’absence d’un projet de société enthousiasmant se fait cruellement sentir. Une lecture stimulante pour touTEs les anticapitalistes.

Christine Poupin