De Willy Gianinazzi, La Découverte, 2016, 23 euros.
Cette biographie nous permet de découvrir, ou de redécouvrir, un penseur incontournable pour les militants écosocialistes que nous sommes. André Gorz, de son vrai nom Gérard Horst, fut en effet l’un des précurseurs d’une écologie radicale, collective, anti-productiviste et, par beaucoup d’aspects, marxiste.
Il est impossible, dans un court article, de revenir sur l’ensemble de l’œuvre gorzienne, comme sur l’ensemble de cette biographie. Mais celles et ceux qui songent à l’écologie comme vecteur central de notre socialisme, devrait revoir les travaux de Gorz en ce qui concerne le rapport au travail.
Pour lui, l’ambition anticapitaliste ne peut consister à se ré-approprier le travail. Il faut aussi, dans une certaine mesure, en finir avec lui. Pour justifier une revendication que nous portons en commun, celle de la diminution du temps de travail, Gorz n’évoque pas la question de la diminution du chômage, mais celle de la nécessité de produire moins, et d’échapper à l’aliénation vécue via le travail salarié.
L’approche du philosophe sartrien, est, en cela, fort intéressante pour nous, à l’heure où, des milliers de jeunes reprochent au NPA d’être « anti » en refusant souvent d’être « pour ». Bien sûr, on peut reprocher à Gorz une vision souvent déconnectée de la réalité, pour qui le « droit au travail » n’est pas un droit à l’aliénation, mais une aliénation inévitable pour subvenir à ses besoins. Pour répondre à cette contradiction, Gorz défendait un revenu minimum conséquent pour touTEs.
Toutefois, l’idée de ré-inventer un idéal, basé à la fois sur l’autogestion dans les entreprises et dans la société (très bien expliquée par Gorz dans ce livre), ainsi que sur la libération d’un temps libre où se trouvent aussi des terrains politiques (associatifs, collectifs, luttes sectorielles...) est un passage inévitable pour qui veut changer le monde.
Ré-inventer
Gorz nous invite à ré-inventer le communisme... Un communisme débarrassé du poids du travail, de la production pour la production, de la consommation dévergondée. Gorz parle d’ailleurs parfois d’éco-socialisme pour qualifier le projet de monde à atteindre. Et celui-ci ne tombe ni dans une compromission de type « capitalisme vert » (en partie du fait de ses liens avec le mouvement ouvrier) ni dans une logique « utopiste désincarnée » qui ne mise que sur les expériences locales et déliées. Au contraire, Gorz pense son communisme à l’échelle internationale, dans un esprit de justice sociale, mais pour cette émancipation, mise non seulement sur les forces organisées du monde salarié – la grève insurrectionnelle – mais aussi sur l’irruption de ce monde hors du champ du lieu de travail, c’est-à-dire directement dans la sphère politique, sociale, environnementale.
Au même titre, pour lui, il n’y a pas de révolution sociale possible sans une révolution personnelle, sans libération de sa propre aliénation, sans « vivre » son engagement, en étant soi-même écolo, sympathisant ou solidaire.
André Gorz nous invite à penser une stratégie, et à inventer des possibles. À l’heure où de nombreuses expériences à travers le monde témoignent que de nouvelles formes politiques émergent (occupations des places, luttes écologistes, féministes), ce livre est une richesse. Pas une richesse pour laisser tomber nos acquis : simplement un appel à s’inspirer du meilleur de TOUT le mouvement d’émancipation, y compris lorsque celui-ci ne place pas la classe ouvrière comme élément central de l’action politique. S’inspirer, pas forcément pour adopter cette position, mais pour ajouter une corde à notre arc stratégique.
Alexandre Raguet