De Charb, Les échappés, 2015, 13,90 euros. Selon la maison d’édition, le petit opuscule posthume de Charb, dessinateur et directeur de Charlie Hebdo, assassiné dans l’attentat terroriste du 7 janvier contre son journal, a été achevé deux jours avant l’attentat...
Son titre est provocateur, excessivement agressif, mais il affirme une légitime liberté de penser et de critique à l’égard d’une notion devenue un lieu commun qui, comme toutes les fausses évidences, mérite réflexion.
Le pamphlet de Charb résonne aujourd’hui comme un hommage à son propre combat, une condamnation de ses assassins et de leurs insupportables justifications. Il est aussi sinon une réponse du moins une critique de la confusion qui confond lutte contre le racisme et défense d’une religion. Pour Charb, le terme « islamophobie est mal choisi s’il doit nommer la haine que certains tarés ont des musulmans », il n’est « pas seulement mal choisi, il est dangereux ». Il ne s’agit pas de nier le fait évidemment, mais de discuter de la pertinence de cette notion pour celles et ceux qui combattent le racisme.
« Lutter contre l’islamophobie, c’est lutter contre quoi ? Contre la critique d’une religion ou contre la détestation de ses pratiquants parce qu’ils sont d’origine étrangère ? » écrit-il, définissant le nœud de la confusion très répandue y compris dans les milieux d’extrême gauche et parmi nous. Une forme de nouveau campisme qui, au nom de la solidarité avec l’opprimé ou la victime, répond à l’adversaire en restant sur le terrain que lui-même a fixé, en l’occurrence celui de la religion. C’est bien contre le racisme qu’il faut lutter et le problème n’est pas seulement de faire la part égale entre antisémitisme et islamophobie, mais bien de lutter contre le racisme et la xénophobie sous toutes leurs formes, sans censurer la lutte contre l’obscurantisme religieux, sous toutes ses formes. Et bien évidemment contre les intégrismes de toutes les religions. « Si demain les musulmans de France se convertissent au catholicisme ou bien renoncent à leur religion, ça ne changera rien au retour des racistes : ces étrangers ou ces Français d’origine étrangère seront toujours désignés comme responsables de tous les maux ».
Athéisme et émancipation...Charb dénonce le pouvoir, fustigeant la visite de Hollande en février 2014 à la grande mosquée de Paris pour rendre hommage « aux musulmans morts pour la France » alors qu’« ils sont morts en tant que chair à canon à bas coût ». « Que la République élève un monument aux indigènes qu’elle a fait assassiner plutôt que d’inventer des combattants musulmans morts pour la France », s’emporte Charb.Et de conclure avec ironie : « si l’athéophobie désigne la critique de l’athéisme, amis culs-bénits, soyez athéophobes en toute sérénité ! […] Il se trouve qu’il n’y a pas de terrorisme athée au 21e siècle. Les athées sont persécutés partout dans le monde, mais aucun ne détruit les œuvres d’art crées par des croyants pour rendre hommage à leur dieu... »Une ironie qui refuse la soumission à un dieu, mais la lutte contre le racisme, pour un monde ouvert, démocratique, respectueux des croyances bien qu’étranger à l’obscurantisme, c’est la lutte pour l’unité de tous les exploitéEs et des oppriméEs à travers les luttes d’émancipation.Ce n’est pas de ce point de vue que se plaçait Charb...
Yvan Lemaitre