De Mohamed Chérif Ferjani, Éditions Mots Passants, 2014.
Figure de la gauche tunisienne, Mohamed Chérif Ferjani a un parcours assez étonnant, qui commence sous une tente dans la steppe et l’a conduit aujourd’hui à enseigner la philosophie à l’université de Lyon. Entre-temps, il a connu les combats des immigréEs de Lyon des années soixante-dix, avant de passer 6 ans dans les prisons de Bourguiba entre 1975 et 1980.
Dans Prison et liberté, recueil de textes, son témoignage de militant donne un éclairage sur cette génération qui s’est engagée dans le combat pour le socialisme, la démocratie et la laïcité dans le contexte de l’après-indépendance, et la construction de l’État néocolonial.Le chapitre « Mon parcours au mouvement Perspectives » nous fait revivre l’histoire et les débats de cette organisation qui a été le creuset de l’essentiel de la gauche tunisienne actuelle. La distance et l’humour de Chérif permettent de remettre à leur place les débats de l’époque, qui traversaient la plupart des courants d’extrême gauche.
Le texte « Espace d’exclusion, espace de parole publique », s’il est avant tout un témoignage émouvant sur la prison, est aussi une magistrale leçon sur la solidarité, la fermeté des idées qui permettent la résistance et aussi l’utilisation de chaque occasion – instruction, procès – comme tribune, qui a conduit d’ailleurs plusieurs fois à la déconfiture des représentants et des institutions de l’État.Dans son « Identité(s) sans papiers... identité(s) de papiers », Chérif raconte ses multiples – vraies, fausses, vraies/fausses – identités et c’est un vrai bonheur de voir ainsi rendre à la notion d’identité ce qu’elle n’est surtout pas : une affaire de papiers.Une belle leçon d’humanité, celle d’hommes toujours debout, refusant de se taire et prêts à défendre leurs convictions jusqu’au bout.
Jacques Decorsière