Jusqu’au 13 juillet 2015 au Grand Palais à Paris. Peintre surdoué né avec le 17e siècle, siècle d’or espagnol, très tôt repéré au sein de l’atelier de son maître sévillan Francisco Pacheco, peintre érudit, il peint avec la même verve le peuple des bodegon, Bacchus ou les Ivrognes, ou les sujets religieux.
Diego Velázquez est un jeune homme pressé qui veut travailler à la cour d’Espagne : un détour en Italie, où il découvre les clairs-obscurs Caravagesques, où il se frotte aux grands maîtres italiens comme dans ses deux splendides scènes romaines la Forge de Vulcain et la Tunique de Joseph et dans ses paysages de la campagne romaine, et c’est le succès à Madrid avec ses portraits, déjà.
L’Artiste et le Prince, les humbles et les puissants
Commence alors une longue relation entre un artiste et un prince, unique en son genre car à l’inverse de Léonard Vinci/François 1er ou Michel-Ange/pape Jules II, elle est exclusive de part et d’autre, mise à part une petite infidélité pour Rubens au début. Le roi Philippe IV ira jusqu’à confier au peintre de multiples responsabilités et à l’anoblir en Hidalgo. Du jamais vu.
Si Velázquez se plie au genre de la Cour, portraits de la famille royale et de son entourage, il n’en oublie pas son âme : il peint les humbles, nains, bouffons, avec humanité sans misérabilisme et les puissants sans concession : le roi, la reine, l’infante Marguerite et l’infant Baltasar Carlos, aux visages si ingrats, engoncés dans leurs costumes d’apparat et pourtant si plein de vie, d’une sensibilité fragile. Il transcende le portrait sans distinction de classe, de son assistant Juan de Pareja affranchi par le peintre au pape Innocent X au regard d’une extraordinaire acuité.
Une étonnante modernité picturale
De son passé sévillan à la fois austère et libre, il retient à Madrid une rigueur dans la composition, une sobriété des fonds souvent sombres ou clairs-obscurs mais toujours aériens, une matière picturale épaisse et dense alliée à une liberté de touche picturale d’une sublime vivacité et sensibilité. Un seul coup de pinceau d’une étonnante modernité évoque un regard, une moustache ou encore un de ses extraordinaires petits chiens négligemment campés en premier plan. C’est différent des brillants portraits très travaillés de Van Dyck, son contemporain, c’est loin du baroque italien alors en vogue en Europe, y compris en Espagne après sa mort. Car Vélasquez, soutenu par un prince clairvoyant a été peu suivi, y compris par son fidèle assistant Del Mazo. Mais quoi d’étonnant à ce que son génie soit enfin reconnu par les impressionnistes, en particulier par Édouard Manet dont la filiation est frappante et qui considérait Velázquez comme « le Peintre des peintres », jusqu’aux contemporains Garouste, etc.
C’est une exceptionnelle rétrospective, la première en France (mais si !). Il ne manque que l’énigmatique composition de les Menines (Prado oblige, on ne cède pas sa Joconde !) pour saisir l’importance de ce peintre majeur, référence absolue constamment réinterprété par les plus grands, de Pablo Picasso avec sa série desInfantesà Francis Bacon avec son portrait d’Innocent X sur la chaise électrique.
Ugo Clerico