« Anselm Kiefer », jusqu’au 18 avril au centre Pompidou. « L’Alchimie du livre », jusqu’au 7 février à la BnF.
Deux belles expositions simultanées sur Anselm Kiefer, le plus germanique des artistes d’outre-Rhin, et paradoxalement le plus connu en France. Peut-être parce qu’il y travaille depuis longtemps et que ses œuvres y sont régulièrement exposées, frappant par la démesure de leur format, leur monumentalité, leurs motifs désolés, paysages dévastés, architectures en ruine, leur couleur indéfinie — grisaille avec toutes les nuances de gris et de bruns — et leur matière complexe, peinture épaisse souvent incrustée d’objets, de boue, cendre, sable, cheveux, et plantes, etc., comme dans les livres gigantesques en plomb exposés à la BnF.
La rétrospective du centre Pompidou revient sur le parcours de cet artiste important né en 1945, qui a passé son enfance dans les ruines et décombres de la guerre, et qui a été parmi les premiers à secouer la conscience allemande de l’après-guerre avec Georg Baselitz, Sigmar Polke, Jörg Immendorf et Markus Lüperz. Son œuvre est plus intellectuelle, imprégnée de culture germanique puis juive, cri d’alerte à leur disparition : provocations du début dans le salut hitlériende Occupations, citations des philosophes et poètes, invocations de l’identité et mythologie germanique, la forêt (Varus, Mann im Wald), mysticisme de la Kabbale, philosophie du Talmud Seraphim, symbolique de la Pyramide, tombeau de la mémoire...
Mais lorsqu’il devient moins narratif, il touche à l’intemporalité, à la poésie pure, dans Pour Paul Celan, Fleur de cendres. Peintre de la solitude et de la désolation, nostalgie de la disparition, il semble avoir fait sienne la sentence d’Adorno : « On ne peut pas faire de la poésie après Auschwitz ». Il montre la palette calcinée du peintre, le livre en plomb du poète, l’architecture en ruine. Il invoque le poète inconnu, le peintre mort, et illustre la prémonition de Heine : « Là où on brûle des livres, on finira par brûler des hommes .»
Néanmoins, rien n’est figé, les œuvres sont ouvertes aux possibles : renaissance des cendres, régénération des mythes ancestraux à partir de gravats et objets ruinés, de végétaux minéralisés, comme dans ses installations en vitrines, et enfin réapparition de la vie et de la couleur au milieu de la grisaille dans la récente série Fleurs méchantes.
Ugo Clerico