Publié le Mercredi 24 novembre 2021 à 13h38.

Face au Covid-19, nos exigences, leurs incohérences, d’Alain Bihr

Éditions Syllepse, collection « Coup pour coup », 98 pages, 5 euros.

Publié dans la petite collection « Coup pour coup », aux éditions Syllepse, l’ouvrage d’Alain Bihr est un livre militant. À partir d’une analyse de la crise à la fois mondiale et « multidimensionnelle » déclenchée par l’épidémie de Covid-19, l’auteur souhaite apporter une contribution au débat au sein des forces anticapitalistes « pour faire évoluer le rapport de force en leur faveur, voire pour tenter d’ouvrir des brèches susceptibles de s’élargir sur des perspectives révolutionnaires ».

Le capitalisme face à ses contradictions

Les premiers chapitres reviennent sur les origines et les causes du développement de la pandémie. Ils montrent comment celle-ci a brusquement rappelé au monde que la santé est un bien public, a bousculé le dogme d’un « capital santé » dont chacunE serait individuellement responsable et mis en cause les politiques libérales d’austérité et de privatisation des systèmes de santé. Cette crise a placé le capitalisme et ceux qui en sont l’incarnation face à une contradiction : impératif de maintenir à tout prix la production de marchandises, sans laquelle le capital ne peut se reproduire, mais « en même temps » nécessité de préserver, à minima, la force de travail, sans laquelle la production capitaliste n’est pas possible (risques de mortalité massive, de « désertion » des lieux de travail, et/ou d’explosion sociale). Il en a résulté la politique de stop (mesures autoritaires) and go (allègement des contraintes) qui a été décidée par les représentants des classes dominantes, au rythme des « vagues » successives de la pandémie.

Trois scénarios possibles de sortie de cette crise

Alain Bihr envisage trois scénarios possibles de sortie de cette crise, en fonction des rapports de forces sociaux. Le premier, le plus défavorable, est la poursuite, si le Capital conserve la main, du « business as usual », avec un durcissement des conditions d’exploitation (précarisation…), et un renforcement des politiques austéritaires, répressives et de contrôle social. Le deuxième, réformiste, est celui d’un « green new deal », qui romprait partiellement avec les politiques libérales. L’auteur (s’appuyant sur les exemples des USA et de l’Europe) considère toutefois ce scénario comme très improbable, faute de forces pour le réaliser.

Le 3e scénario, celui dans lequel s’inscrit A. Bihr, suppose une modification radicale des rapports de forces actuels. Pour y parvenir, l’auteur apporte sa contribution sous forme de propositions programmatiques partant des exigences immédiates de la situation pour aller vers une transformation d’ensemble de la société, rompant avec le capitalisme.

Cette démarche recoupe ce que la tradition des premiers congrès de l’internationale communiste perpétuée par le mouvement trotskiste appelle revendications, programme et stratégie de transition. Elle est développée en plusieurs chapitres répondant de manière concrète et juste aux différents aspects de la crise :

– « Imposer une sortie de la pandémie à nos conditions »

– « Imposer une reprise de la production à nos conditions »

– « Pour une socialisation du système de santé »

Elle se situe dans une perspective écosocialiste, rompant avec le capitalisme et débouchant sur une société communiste.

Convaincre ou contraindre : un débat « non pertinent » ?

Un chapitre de l’ouvrage traite de questions d’actualité liées aux politiques menées par le pouvoir (pass sanitaire, vaccination). Anti pass et défenseurs du pass y sont renvoyés dos à dos, comme les deux faces de la même médaille libérale, qui fait de la santé une affaire individuelle. L’auteur oppose aux uns et aux autres « l’obligation vaccinale généralisée, seule cohérente avec la dimension de bien public de la santé ».

Poser ainsi la question élude pourtant un point essentiel. Une politique de santé publique de lutte contre la pandémie ne peut être construite qu’avec l’adhésion de la population permettant sa mobilisation active. Or celle-ci est incompatible avec une obligation accompagnée de sanctions. Les mesures de contrainte sous la forme hypocrite, macronienne ou sous la forme d’une obligation généralisée accompagnée de sanctions, avant d’être « liberticides » sont d’abord peu efficaces. Elles le sont beaucoup moins que des politiques de santé communautaire allant sans les contraindre au devant de celles et ceux qui n’ont pas les moyens ou refusent de se protéger. L’exemple de la lutte contre le VIH, avec la participation des associations, ou de la lutte contre le choléra, Ebola ou Zika dans les pays les plus pauvres en atteste.

L’auteur perçoit d’ailleurs bien la difficulté : dans ses propositions il aborde la nécessité d’intervenir « dans ou en marge des mobilisations actuelles contre le pass sanitaire », en présentant la vaccination comme une « obligation éthique », c’est-à-dire une norme, dont il faut convaincre ; ce qu’il précise en affirmant que la lutte contre la pandémie doit être conduite comme une « opération de santé publique et non pas comme une opération de police ».

Un débat à poursuivre donc sur ce point, comme sur l’ensemble des propositions de l’ouvrage.