Publié le Dimanche 19 juin 2011 à 08h18.

Jorge Semprún, les deux visages d’une même histoire

Semprún est né à Madrid en 1923. Sa vie et son œuvre ont été marquées par une série de contradictions. Pendant la guerre civile espagnole, il a vécu à Bruxelles où son père été ambassadeur. Après la guerre civile, il vécut dans Paris occupé par les nazis et rejoignit la Résistance. Arrêté sur dénonciation, il fut torturé puis déporté au camp de Buchenwald. Ce séjour en enfer marqua profondément son expérience littéraire et politique. Dans plusieurs de ses livres, il revint sur son travail dans l’administration du camp.

Son passé à Buchenwald a été l’objet de controverses de la part de personnes peu suspectes comme Stéphane Hessel pour qui : « À partir de 1937, les communistes ont assuré la “gestion” du camp [Buchenwald] […] nous pouvions leur demander ce qu’ils pouvaient faire pour nous qui allions être exécutés. Ils nous répondirent qu’ils étaient désolés mais qu’ils ne pouvaient rien faire car ils réservaient leur protection à leurs militants, comme pour Jorge Semprún, communiste espagnol. Les communistes étaient formidablement solidaires entre eux !... »1. Dans son livre Le mort qu’il faut2, Jorge reconnaît avoir travaillé dans l’administration du camp de Buchenwald mais dément avoir été kapo (à la différence de Josef Frank, Walter Bartel, etc. et d’autres dirigeants communistes officiels).

Son parcours de militant et de dirigeant du PCE est sans aucun doute celui du plus populaire d’entre eux « Federico Sanchez »3. Il n’a jamais critiqué la ligne suivie par le Parti ni le rôle de son secrétaire général, Santiago Carillo, et il a fallu attendre les années 1960 pour qu’il commence à remettre en cause le stalinisme. Il fut expulsé du parti en 1964 pour divergence avec la ligne.

Comme écrivain et scénariste, Jorge Semprún a joué un rôle important mais, comme tant d’autres grands auteurs du xxe siècle, il a commencé avec une optique socialiste et anticapitaliste pour finir par une adaptation à l’ordre existant. Cet abandon raffiné s’est illustré en 1997 lorsqu’il reçut des mains de Vargas Llosa le Prix Jérusalem et où il fit l’éloge de la « démocratie israélienne ».

En 1988, Felipe Gonzalez le nomma ministre de la Culture. Semprún s’est fait particulièrement remarqué en défendant la première guerre du Golfe, répétant à loisir que Saddam Hussein était comme Hitler et qu’il s’agissait d’une intervention comme celle qu’auraient dû faire les démocraties pendant la Guerre d’Espagne. Il congédia un certain nombre de fonctionnaires de son ministère qui avaient signé un manifeste contre la guerre. Même s’il y des aspects de sa pensée que nous pouvons partager et des chapitres de ses écrits que nous pouvons admirer, on peut dire qu’à partir de 1977 environ, Semprún cessa d’être un ami, un des « nôtres ».

Pepe Gutiérrez-Álvarez, membre du conseil de la revue Viento Sur. Traduction Jacques Radcliff. 1. Citoyen sans frontières, Conversations de Stéphane Hessel avec Jean-Michel Helvig, Paris, 2008, p. 77.2. Folio, 2002, 5,10 euros3. Jorge Semprún dans la résistance contre Franco avec le PCOE portait le pseudonyme de Federico Sanchez [NdT].