Éditions Syllepse, 220 pages, 10 euros, et Éditions Syllepse, Page 2 et M Éditeur, 1 008 pages, 30 euros.
Les éditions Syllepse, Page 2 et M Éditeur viennent de publier une nouvelle édition de la biographie de Staline par Trotsky. Il s’agit de la première édition intégrale en français du manuscrit original, dont de larges parties ont été ignorées des éditions précédentes. Peu avant son assassinat en 1940 sur ordre de Staline, Léon Trotsky a entrepris d’écrire cette biographie. L’ouvrage est un portrait du militant géorgien qui s’est élevé par la ruse et la brutalité au sommet du Parti bolchevique, et surtout une analyse des bouleversements sociaux et politiques qu’a pu connaître la Russie soviétique et qui ont ouvert la voie à la dégénérescence des idéaux qui l’avaient portée.
« État ouvrier dégénéré »
En même temps que cette monumentale biographie (1 000 pages), est publié un court ouvrage de Patrick Silberstein, la Revanche du chien enragé (reprenant un terme utilisé par les staliniens pour désigner les trotskistes). Ce livre constitue à la fois une évocation de l’emprise du stalinisme sur l’URSS et le communisme international et un rappel des débats sur la nature de l’URSS.
L’auteur souligne que les oppositionnels de gauche des années 1920 craignaient d’abord la restauration du capitalisme privé dans la foulée de la NEP alors que ce qui se jouait était l’ascension de la bureaucratie dans le cadre de l’économie étatisée.
Citant un grand nombre d’auteurs (ce qui, malgré l’intérêt des références, peut rendre parfois la lecture un peu fastidieuse) Patrick Silberstein revient sur la notion d’« État ouvrier dégénéré ». Face à la dictature bureaucratique et policière, à la montée des privilèges et inégalités et à la durée de ce qui était souvent caractérisé comme une transition entre capitalisme et socialisme, il montre les incertitudes des militantEs et penseurs oppositionnels. Il rappelle un certain nombre de métaphores aux implications différentes : le « pont » (qui reste un pont entre deux rives) d’Ernest Mandel ou l’« épave de voiture » de l’américain Ernest Goldman (l’épave a été une voiture mais n’en est plus une). Par ailleurs, certains soutenaient que l’URSS n’était plus qu’un capitalisme d’État, soulignant que la forme de propriété n’était plus l’élément déterminant de la question. Sur ce point, Patrick Silberstein cite un passage de la Révolution trahie où Trotsky ironise sur un paquebot étatisé mais où subsistent plusieurs classes : les passagers de première, fumant leurs cigares, se féliciteront de la propriété publique mais ceux des seconde et troisième classes seront plus critiques.
Réflexion sur le risque bureaucratique
Silberstein consacre aussi des développements au stalinisme d’après 1945 : le durcissement (avec un déchainement antisémite) en URSS après la libéralisation relative pendant la guerre, la mise au pouvoir dans les nouvelles « démocraties populaires » de partis qualifiés de communistes ou ouvriers mais « génétiquement modifiés », et la servilité à l’égard de Staline des partis communistes occidentaux, dont en premier lieu le PCF.
On peut considérer que les discussions sur la nature de l’URSS et le stalinisme appartiennent à une époque révolue et n’ont guère d’implications aujourd’hui. À l’encontre de cette idée, Patrick Silberstein souligne dès son introduction qu’elles ont encore une fonctionnalité pour les jeunes générations révolutionnaires. La propagande des tenants de l’ordre capitaliste continue de s’appuyer sur le fantôme de Staline pour discréditer toute tentative de rupture révolutionnaire. Si nécessaire que soit la révolution et la transformation socialiste, la réflexion sur le risque bureaucratique et les moyens d’y échapper est donc nécessaire.