De Daniel Lindenberg, Le Seuil, 2002 (nouvelle édition 2016), 112 pages, 11.80 euros.
Daniel Lindenberg, historien des idées et professeur de Science politique à l’université Paris VIII, est mort à Paris le 12 janvier. Il était âgé de 77 ans.
Homme de gauche, passé par l’UEC puis par l’UJC-ml (maoïste), Daniel Lindenberg s’est tourné vers un « socialisme non marxiste » au cours des années 1970, sans pour autant abandonner les combats progressistes. Il devient à la fin des années 1980 un contributeur de la revue Esprit tout en demeurant engagé dans « l’aventure » de l’université de Vincennes-Saint-Denis, où il enseignera jusqu’à la fin de sa carrière, dirigeant ou co-dirigeant de nombreuses thèses de science politique – dont celle de l’auteur de ces lignes.
Les « nouveaux réactionnaires »
Daniel Lindenberg était loin d’être un compagnon de route de la gauche radicale et ne taisait pas ses critiques à l’égard des marxistes, mais il ne refusait pas la confrontation des idées. En mars 2016 encore, à l’invitation de la Société Louise-Michel, il animait une soirée-débat autour d’une intervention intitulée « La révolution conservatrice et ses réseaux ».
Daniuel Lindenberg est surtout connu pour avoir publié en 2002, aux lendemains d’une élection présidentielle marquée par la « surprise » Le Pen, un pamphlet intitulé le Rappel à l’ordre : enquête sur les nouveaux réactionnaires. Un court ouvrage (une centaine de pages) dans lequel il s’en prenait sans ménagement à plusieurs intellectuels (philosophes, écrivains, historiens) qualifiés de « nouveaux réactionnaires » dans la mesure où, alors qu’ils avaient un passé de « gauche », ils se retrouvaient désormais aux avant-postes d’une offensive conservatrice « contre la culture de masse, contre les droits de l’homme, contre 68, contre le féminisme, contre l’antiracisme, contre l’islam ». Parmi les cibles de Lindenberg : Pierre-André Taguieff, Michel Houellebecq, Luc Ferry, Pascal Bruckner, Pierre Nora ou encore Marcel Gauchet.
L’ouvrage déclencha une polémique d’une rare intensité dans les grands médias, et Lindenberg fut la cible d’attaques violentes de la part de ceux qu’il avaient identifiés comme « nouveaux réactionnaires » – et de ceux qui se reconnaissaient dans les contours définis dans le livre.
Le Rappel à l’ordre est loin d’être exempt de toute critique, notamment celles formulées à l’époque par Daniel Bensaïd, qui reprochait à Lindenberg de « se situer sur le registre du relevé de citations et de la dénonciation » et qui déplorait « l’absence de mise en relation sérieuse entre l’évolution du paysage intellectuel et les référents politiques de l’époque ».
« Droitisation de l’intelligentsia »
Il n’en demeure pas moins que ce livre, réédité en 2016 avec une postface inédite de l’auteur, mérite d’être (re)lu tant il fut l’un des premiers à décrire un phénomène dont on mesure, 15 ans plus tard, l’ampleur, au point que certains ont qualifié l’ouvrage de « prémonitoire », voire « prophétique ». Interviewé par Libération à l’occasion de cette réédition, Daniel Lindenberg déclarait : « À la publication de mon essai, en 2002, je m’attendais à un débat, pas à des insultes. On m’a accusé d’être un inquisiteur, d’appartenir à la police de la pensée. On a voulu faire croire que tous ces gens de gauche que je qualifiais de nouveaux réactionnaires se posaient simplement des questions sur la nation ou l’immigration et qu’ils avaient le droit de ne pas être angéliques. Cette droitisation de l’intelligentsia, elle ne fait plus aucun doute aujourd’hui. Je ne regrette rien. Ceux qui me mettaient en accusation sont aujourd’hui les premiers à faire sauter les bouchons de champagne pour célébrer leur victoire dans la guerre des idées. »
Il y a, malheureusement, beaucoup de vrai là-dedans…
Julien Salingue