Avec son dernier roman Skinheads, John King rappelle les origines de ce mouvement qui a marqué l’Angleterre des années 1970, avant de virer partiellement vers l’extrême droite. Novembre 1969, un morceau de reggae, Liquidator d’Harry J. Allstars, se propulse à la cinquième place des charts anglais grâce à l’orgue hypnotique de Winston Wright. Le succès de ce titre est tel que les supporters de Chelsea décident d’en faire l’hymne du club.
Ce titre, et toute la vague des 45 tours jamaïcains qui se déversent par millions dans les foyers anglais, doivent en grande partie leur succès à l’émergence au Royaume-Uni d’une nouvelle contre-culture adolescente, après les Teddy Boys et les Mods : les skinheads. Ils sont très jeunes, généralement issus de la classe ouvrière (ils en portent avec fierté les emblèmes vestimentaires, Doc Martens et Donkey Jacket), et se coupent les cheveux très court pour témoigner de leur rejet des hippies, bourgeois et hédonistes. Surtout, ils ne jurent que par la musique jamaïcaine qu’ils ont découverte en fréquentant les jeunes « rude boys » débarqués de Kingston à Croydon ou Notting Hill, et dont la « rudesse » les séduit, tout comme le blues avait subjugué les Rolling Stones et autres Yardbirds. Et ils s’avèrent en même temps extrêmement patriotes et anti-establishment, ce qui ne les empêche nullement de se cogner entre eux (surtout à cause du foot) ou contre les bandes de rockers.
Dix ans plus tard, une seconde vague déboule dans la foulée du punk, et si ces nouveaux « tondus » aiment le ska « two tone » des Specials et des Madness, ils possèdent désormais leur propre courant musical, la « oi » (au passage en partie lancée par un militant socialiste du nom de Gary Bushell). Et elle peut se révéler très populaire. En mai 1980, la chanson I’m forever blowing bubbles des Cockney Reject, sortie pour coller à la finale de la Cup entre Westham et Arsenal, monte un à un les marche du classement des ventes. Et c’est là que les choses se gâtent : sur fond de crise économique, de contre-révolution thatchérienne, une partie du mouvement va basculer vers l’extrême droite la plus radicale, permettant ensuite tous les amalgames et les raccourcis de la presse et de la télé qui transforment le « skin » en prototype du beauf raciste et ratonneur.
John King, auteur qui dissèque depuis quinze ans les affres et les passions de la perfide Albion (à lire : Football factory et Human Punk), nous délivre avec son nouveau roman, au travers de trois générations de skinheads, le portrait d’une certaine Angleterre oubliée, à l’heure de la City triomphante. Car si, en France, la culture skinhead resta confidentielle, de l’autre côté du Channel c’est un mouvement massif qui a fortement marqué l’imaginaire populaire. Par ailleurs, l’un des aspects politiques les plus instructifs, c’est aussi peut-être qu’il souligne en filigrane, à l’instar du polar le Bloc de Jérôme Leroy pour l’Hexagone, les modalités de séduction d’un certain populisme « nouvelle version » (auquel ses personnages ne succombent pas) auprès des couches populaires.
King MartovSkinheads, John King, Au diable vauvert.