Le samedi 15 février dernier, une centaine de personnes, militantEs et sympathisantEs, se sont retrouvés toute une après midi pour échanger autour des thèmes abordés par le dernier livre d’Olivier Besancenot, « la Conjuration des inégaux, la lutte des classes au XXIe siècle ». Pour partager expériences et réflexions, étaient présents Ghislaine Tormos, ouvrière de PSA Aulnay, syndicaliste et auteur du « Salaire de la vie », Marcel Trillat, journaliste et cinéaste (« Cinq colonnes à la une », Radio Lorraine cœur d’acier…), Gérard Mordillat, écrivain et cinéaste (entretien dans le prochain numéro de l’Anticapitaliste n°232), Marlène Benquet, sociologue et auteure de « Encaisser ! », Nicolas Jounin, sociologue et auteur de « Chantier interdit au public », et bien entendu Olivier Besancenot.En dépit des reculs, la période actuelle ne doit pas conduire à baisser les bras mais au contraire à repenser les moyens de mobiliser notre camp, notre classe. Un vaste chantier dans lequel se sont inscrites les diverses contributions de ce samedi 15 février. À suivre.Essai : La Conjuration des inégaux, la lutte des classes au XXIe siècle, Olivier BesancenotÉditions du Cherche-Midi, 2014, 13 euros. Commander à La Brèche.
Cet essai est une contribution pour redéfinir les contours du prolétariat, celles et ceux qui sont obligés de vendre leur force de travail, manuelle ou intellectuelle. Une contribution particulièrement stimulante au moment où la réalité de la lutte des classes en France est reconnue par 64 % des sondés (contre 40 % en 1964) mais que le « sentiment d’appartenir à une classe » est lui en régression (de 61 à 56 %). Et une grande claque à la notion en vogue de classe moyenne !Décortiquer comment s’amassent les grandes fortunes, comment la classe dominante construit sa domination sur tous les plans, c’est mettre en évidence les contre-vérités de la phrase de François Hollande : « mon véritable adversaire n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti mais il gouverne, cet adversaire c’est le monde de la finance ». En effet, la classe capitaliste est concentrée autour d’une élite connue, unie par de multiples relations opératoires et redoutablement efficaces, avec des liens au cœur de l’État et dans les partis politiques. On trouve dans l’organigramme des conseils d’administration du système bancaire la quasi-totalité des familles politiques, de droite, de gauche, du centre.Pour celles et ceux d’en bas, il s’agit de dépasser les ravages de la division sociale savamment provoquée et entretenue par les classes possédantes afin de saper toute amorce de reprise de conscience de classe. Derrière la notion de « classes moyennes », les identités sociales se diluent, se perdent et s’ignorent, au point que l’écrasante majorité s’oublie jusqu’à en devenir invisible.Or le prolétariat n’a jamais été aussi nombreux dans l’histoire du capitalisme. Pourtant, cette classe salariée des producteurs, « objet d’exploitation et d’aliénation, potentiellement sujet d’émancipation », n’a jamais eu aussi peu conscience d’exister en tant que telle...Refonder le mouvement ouvrierDépasser la guerre des pauvres dans l’enfer de la compétition perpétuelle, qui transforme des différences dérisoires au regard de notre exploitation en cloisons infranchissables. Retisser des liens, de la solidarité, de combat. Reconstruire des repères. Car si le prolétariat a beaucoup changé, ce n’est pas la première fois depuis que le capitalisme règne.Il n’est pas nécessaire d’être ouvrier pour être prolétaire, cette notion définit un camp social qui englobe les vastes secteurs du salariat, les ouvriers de l’industrie, les employés du tertiaire, les travailleurs intellectuels et cadres prolétarisés.« Pour en finir avec la dictature d’une minorité, il est impératif que la majorité dominée se vive à nouveau comme “sujet vivant” plutôt qu’ “objet” », car la domination n’est pas seulement économique, mais aussi d’ordre social, politique, culturel ou symbolique.La conclusion trace quelques pistes pour une perspective d’ensemble, pour la refondation d’un mouvement ouvrier de type nouveau. Car les luttes ont besoin d’un prolongement, la promesse de lendemains meilleurs, pour se vivre en devenir : un rapport dialectique unit la réflexion à l’action. Ce que permet à sa manière cet essai à faire connaître largement !Patrick Le Moal Essai : Le Salaire de la vie, Ghislaine TormosÉditions Don Quichotte, 2014, 15 euros
Plus parlants qu’un résumé, des extraits de l’intervention de Ghislaine samedi 15 février :Ce livre c’était pour raconter mon parcours, pour envoyer un message aussi. Pour dire que l’on n’est pas stupide, que l’on est pas que des robots. Aujourd’hui, je me retrouve virée d’une usine, qui était soi-disant d’excellence. J’y ai tout donné pendant 10 ans... Et puis j’ai décidé de dire non, de dire que je ne baisse pas les bras, que j’ai envie de me battre. (…) Ça a été 3 000 personnes à Aulnay qui ont été mises dehors. Mais dans le groupe, c’est 11 200 personnes foutues dehors. On se fout totalement de nos vies derrière. Au contraire, on nous dit : vous avez un patron exemplaire qui vous fait un plan social balaise... Il vous donne la possibilité de retrouver du boulot ailleurs, mais il faut que vous soyez déplaçables, modulables. Et surtout taisez-vous ! Vous allez avoir un salaire de 1 100 euros, mais c’est un CDI, alors il faut accepter ces conditions.Aujourd’hui la majorité des ouvriers sont bacheliers, il y en a qui ont Bac+2. Ils ont cette intelligence que le patron n’a pas vu venir, et aujourd’hui, celui-ci s’étonne de la révolte des ouvriers.Je viens du site d’Aulnay-sous-Bois. C’est 42 nationalités différentes, la preuve qu’on peut tous vivre ensemble. Aujourd’hui on se bat, on résiste et on va faire comprendre qu’un ouvrier ce n’est pas un con, ce n’est pas un objet que tu jettes. Ce livre, c’était pour raconter ce qu’on nous oblige encore aujourd’hui à accepter comme conditions de travail. (…)À travers ce livre, j’aimerais faire comprendre aux gens qu’on peut bouger, qu’on peut dire non. Il n’est pas trop tard. Aujourd’hui je travaille sur le site de Poissy, on sait que ça va fermer. Ils nous font la même qu’à Aulnay, c’est la même stratégie. Alors, il ne faut pas attendre cinq ans qu’on nous mette un coup de pied au cul et qu’on nous foute dehors. (…)Ça fait chaud au cœur de voir tous ces gens qui s’intéressent à nous, ces sociologues, ces journalistes qui prêtent intérêt à la cause ouvrière. Moi cette grève, même si beaucoup disent que ça n’a servi à rien, ça n’a rien fait bouger... Si, dans les consciences beaucoup de choses ont bougé. La prochaine fois, les gens seront là, ils se battront avec nous !Propos recueillis par Pierre Baton