Au début de janvier 2014, une factrice du Lot s’est suicidée en se rendant à son travail1 ; le 31 du même mois, la presse annonce le cas d’une cadre de Coliposte à Noisy-le-Grand2. Quelques jours auparavant, l’ensemble de la presse, à la suite d’un document publié sur le site Bakchich3, s’était fait l’écho d’un rapport de l’inspection du travail mettant en cause la Poste après le suicide, en février 2013, d’un cadre de la direction de la communication4.
Ces drames, ou leurs derniers rebondissements, ne figurent pas dans le livre de Sébastien Fontenelle, paru l’automne dernier. Mais ils confirment que les cas de suicide d’employés et de cadres de la Poste se poursuivent malgré un prétendu « grand dialogue » instauré par la direction de l’entreprise, en fait une opération de communication censée apporter une réponse à une première vague de suicides et redorer une image écornée dans l’opinion publique. Certes, ils ont été, pour l’instant, moins nombreux qu’à Orange, l’ancienne entreprise publique France Télécom.
Celle-ci avait fait la Une de l’actualité à plusieurs reprises, aboutissant au remplacement du directeur du groupe, Didier Lombard, qui, depuis, a été mis en examen pour harcèlement moral suite à un rapport de l’inspection du travail et à une plainte de la fédération SUD-PTT. Il reste que, les mêmes causes produisant les mêmes effets, la souffrance au travail des employés de la Poste perdure et alimente la rubrique des faits divers tragiques.
Du service public à l’entreprise néolibéale
L’enquête de Sébastien Fontenelle éclaire une situation dont le grand public n’a pris conscience que récemment. En effet, malgré des changements majeurs imposés en interne depuis le début des années 1990, l’opinion a longtemps conservé l’image d’une entité désuète et sympathique, mais efficace et proche des gens. Pourtant, depuis 1991, l’ancienne administration des PTT a été séparée en deux entreprises publiques, la Poste et France Télécom, sous l’égide d’une loi du socialiste Paul Quilès, transformées ensuite en sociétés anonymes.
Sébastien Fontenelle rappelle d’abord ce qu’ont été les PTT comme service public et les attaques récurrentes qu’il a subies depuis les années 1970, puis les changements intervenus après la fin de l’administration publique. Bien avant le changement de statut d’il y a quatre ans, l’entreprise postale, outre la multiplication de ses filiales de droit privé, a vu l’introduction d’une « culture » et de méthodes managériales qui l’ont profondément modifiée, tandis que le personnel était géré sous plusieurs statuts (anciens fonctionnaires, contractuels de droit privé en CDI et précaires) et connaissait une explosion de la précarité.
Ensuite, l’ouvrage de Fontenelle synthétise et met en perspective nombre d’informations et de faits divers qui permettent de voir que la situation actuelle vient de loin et résulte d’une politique de long terme poursuivie sous tous les gouvernements successifs. Celle-ci est d’ailleurs ubuesque quand on se souvient que, au début des années 1990, l’un des principaux arguments des partisans du « changement » de statut était que la séparation des deux entités permettrait de libérer les potentialités et le développement de chacune d’entre elles, alors qu’aujourd’hui, la Poste cherche des alliances dans la téléphonie qu’elle avait naturellement à l’époque des PTT pour compenser la baisse annoncée, et entamée, du courrier.
L’ancienne administration des PTT était le second employeur de France, après l’Education nationale, et un bastion syndical avec de fortes et anciennes traditions de lutte, comme la longue grève de l’automne 1974. Pour les contourner et normaliser l’entreprise, la Poste est devenue le laboratoire du démantèlement des services publics et de l’application des méthodes de management dans les administrations et les anciennes entreprises publiques. Grâce à ce livre, on peut enfin mesurer les répercussions désastreuses de cette politique de rentabilité et le gâchis humain qui s’ensuit. Une situation dans laquelle les socialistes actuellement au pouvoir portent, depuis le début, une grande part de responsabilité.