Dans son intervention télévisée du 16 avril, Emmanuel Macron a annoncé qu’il ne lui faudrait pas plus de 5 ans pour reconstruire Notre-Dame « encore plus belle » (sic). Au delà du délai totalement farfelu et strictement motivé par la perspective des JO à Paris en 2024, cette annonce à aussi fait froid dans le dos à touTEs les professionnelEs de la conservation du patrimoine. Et pour accompagner ce caprice, le président demandait dans la foulée le vote d’une loi d’exception « pour la restauration et la conservation de la cathédrale Notre-Dame de Paris et instituant une souscription nationale à cet effet ».
Heureusement, le ministre de la Culture Franck Riester, est venu nous rassurer à l’Assemblée en expliquant que « nous ne confondrons pas pour autant vitesse et précipitation ». Et d’expliquer, en ouverture des débats autour de la loi, que ces 5 années étaient en réalité un « délai ambitieux et volontariste qui permet de mobiliser ». Un discours qui ne semble pas avoir convaincu au-delà des rangs de LREM, puisque la loi faisait l’unanimité contre elle à droite ou à gauche... Une loi finalement été votée en présence de 47 députés (32 voix pour). Avec une légitimité aussi solide que feu la flèche de Notre-Dame donc...
Cette loi pose pourtant un nombre important de problèmes. La première disposition concerne par exemple le montant de déduction fiscale pour les donateurs. « Jusqu’au 31 décembre et dans la limite de 1000 euros, le projet porte de 66% à 75% le taux de réduction d’impôt sur le revenu ». La limite des 1000 euros n’est que le petit supplément d’âme qui permet de faire oublier que les plus gros donateurs sont toujours les plus avantagés fiscalement... quand ils payent leurs impôts en France. De ce point de vue, nous nous contenterons de noter que même la droite en est venue à se demander si il était vraiment nécessaire de donner un coup de pouce à un dispositif fiscal jugé déjà « très généreux » !
La loi précise ensuite que tout l’argent récolté par la souscription (qui s’élève aujourd’hui probablement à près d’1 milliard d’euros) devra être strictement et uniquement affecté à Notre-Dame. Une disposition aussi absurde que problématique. En effet, on commence aujourd’hui à estimer le coût total des travaux autour de 700 millions d’euros. Que faire de l’argent en plus ? Le ministre parle de financer l’entretien de la cathédrale sur le long terme... Même si nous pourrions partager cette préoccupation soudaine pour la conservation du patrimoine, la financer par le biais de cette souscription remet en réalité directement en question le principe de financement public de la conservation de la cathédrale. En clair, cela permet en fait à l’État de se désengager financièrement et de retirer ce « coût » de son budget. Cet argent excédentaire devrait au moins pouvoir être reversé dans le reste du financement du patrimoine et du ministère de la Culture (qui a souffert d’importantes coupes budgétaires ces dernières années). Il pourrait, par exemple, également servir au financement de la formation publique des métiers qui interviendront dans la restauration de la cathédrale ou sur le reste des collections nationales publiques...
L’article 8 de la loi entérine quant à lui « la création d’un établissement public de l’État aux fins de concevoir, de réaliser et de coordonner les travaux de restauration et de conservation de la cathédrale Notre-Dame de Paris ». En plus d’être inutile, la création de ce nouvel établissement public et de l’administration qui l’accompagne est très coûteuse. Le tout pour des missions qui sont déjà et peuvent déjà être prise en charge au sein du ministère et notamment du Centre des monuments nationaux... Il s’agit également d’un moyen de créer une multitude de postes de hauts fonctionnaires inutiles mais aux salaires aussi ronflants que leurs titres. Alors qu’on continue de l’autre côté de supprimer des postes de fonctionnaires qui eux, sont indispensables à la conservation du patrimoine, son accès et sa diffusion large et publique...
Mais le problème le plus important de cette loi reste la possibilité de dérogations au règles en vigueur concernant la restauration des bâtiments classés sur la liste des monuments historiques. Pour respecter l’objectif des 5 ans, cette loi permettra de s’affranchir des règles en matière d’urbanisme, d’environnement, de construction et de préservation du patrimoine, ainsi qu’aux règles en matière de commandes et marchés publics... C’est d’autant plus inquiétant qu’en réalité le code du patrimoine autorise déjà un nombre problématique de dérogations aux dispositions de conservation des monuments classés. Les professionnelEs s’organiser pour essayer de s’opposer au projet et à la loi, tout en ayant conscience qu’ils et elles se retrouvent par ailleurs à défendre le système actuel de protection des monuments historiques et du ministère de la Culture qui est aujourd’hui tout à fait insuffisant et qui est... en partie responsable de la situation ayant mené à l’incendie accidentel de Notre-Dame !
Une lettre et pétition signée par les élèves conservateurs de l’Institut national du patrimoine résume bien ces préoccupations. Ils et elles y expliquent que « Notre-Dame a vocation à devenir un chantier modèle et non un terrain d’explorations hasardeuses » et que, pour cela, « la restauration du patrimoine ne saurait être mise en œuvre sans cadre législatif, sans diagnostic scientifique et technique, sans contrôle ». Ce qui semble pourtant, pour l’instant, être la ligne directrice d’un gouvernement qui met tout en œuvre pour que la volonté d’Emmanuel Macron soit le plus rapidement et le plus fidèlement appliquée, au mépris de l’avis des premierEs concernéEs et des règles déontologiques patrimoniales. Avec malice et une petite emphase littéraire, les élèves conservateurs concluent leur adresse par cette mise en garde, expliquant que le passage de cette loi offre « finalement à tous les démolisseurs l’ardeur et l’impunité que les mots de Victor Hugo avaient si bien dénoncées » en son temps.
Manon Boltansky