Avec un certain sens de l’opportunité Badiou et son éditeur ont réuni trois textes : deux – des conférences prononcées aux États-Unis – datent des jours qui ont suivi immédiatement l’élection de Trump, le troisième est plus récent et le tout atteint 95 pages. Précisons encore que la première et la troisième contribution se répètent largement. Néanmoins, ce petit livre d’un philosophe connu qui appartient à un courant marxiste qui n’est pas le nôtre (il se réfère toujours au maoïsme) vaut la peine d’être lu.
« La vertu de Trump, écrit Badiou, est de nous ouvrir les yeux sur l’essentiel. Que ce personnage soit à la tête de la plus considérable des puissances capitalistes de la planète devrait tout de même imposer la question : de quoi est-il le symptôme ? ». Badiou vise à répondre à cette question par une analyse politique dont il va dérouler le fil en quatre points.
Le premier est la victoire du capitalisme mondialisé, y compris sur le plan idéologique. Badiou insiste sur le fait que depuis la Révolution française se sont opposés deux camps portant chacun, selon les époques sous des formes différentes et avec plus ou moins d’âpreté, une vision politique opposée de ce que devrait être l’organisation de la société, le destin de l’humanité. Le premier est celui de de la perpétuation d’un régime fondé sur la propriété privée. Le second insiste sur la nécessité et la possibilité d’une organisation différente. Or, dans les dernières années cette option a disparu (sauf dans des milieux très limités) : comme aimait à le dire Margaret Thatcher : « il n’y a pas d’autre solution », seule existe la voie du capitalisme mondialisé. Badiou insiste à juste titre sur le fait que la propagande contemporaine en faveur du capitalisme libéral n’affirme pas qu’il est parfait – elle est prête à reconnaitre, par exemple, qu’il y a des inégalités exagérées – mais son point essentiel est l’affirmation que ce modèle est la seule solution, toutes les alternatives sont pires et finalement impossibles.
Dans ce contexte, tous les États existants sont subordonnés au Capital et les dirigeants constituent un seul et unique groupe, divisés sur divers sujets, mais unifiés sur l’essentiel : « pour autant que l’avenir de l’humanité est en jeu, il n’y a qu’un seul et unique parti, celui du capital ».
Le troisième point de Badiou est l’affaiblissement du système politique. L’oligarchie transnationale contrôle le processus d’accumulation du Capital mais le pouvoir politique chargé de soumettre les peuples à un processus planétaire s’exerce encore pour l’essentiel au niveau des nations. L’impuissance des dirigeants politiques qui en découle et leurs fausses promesses provoquent d’immenses frustrations. Une partie des populations cherche des réponses dans « des fausses nouveautés, des visions irrationnelles, ou bien retourne à des traditions mortes ». Si bien que la voie se dégage pour une nouvelle espèce de candidats au pouvoir, non issus de l’oligarchie politique traditionnelle. Trump en est un exemplaire. Badiou insiste : « Trump et sa clique produisent, à l’intérieur même du consensus capitaliste global, un faux effet de nouveauté ».
Le dernier point de Badiou est l’absence d’une voie et d’une stratégie alternatives. Il y a certes des mobilisations, des résistances, des révoltes mais manque chez la plupart une vraie conviction alternative à la résignation au capitalisme. Une « grande Idée » est nécessaire pour unifier les formes de résistance et d’intervention politique.
Pour Badiou, ces quatre données constituent la crise du monde contemporain qui produit les Trump et consorts. Face à cela, que faire ? « Ce n’est pas suffisant de critiquer, de dénier, de résister. Notre tâche est d’affirmer un nouveau commencement », c’est-à-dire de ressusciter l’écho d’une deuxième voie, alternative au capitalisme. La « grande Idée », qui pour Badiou est le « communisme », un nouveau communisme dont il développe les principes.
Il y a dans le livre quelques développements sans vrai intérêt sur les élections américaines. C’est surtout en raison de son analyse du monde et du rappel de l’importance de l’hypothèse communiste que ce livre vaut d’être lu.
L’ampleur de la victoire idéologique du capitalisme peut cependant être discutée. Il y a par ailleurs trois points contestables importants : un certain mépris des mouvements réels (parfois « aussi sympathiques que vains »), un contournement des classes sociales (la seule qui soit clairement désignée est l’oligarchie financière) et enfin, et surtout, une conception curieuse de ce doit être l’organisation porteuse de l’Idée (un collectif d’intellectuels, de jeunes et de « prolétaires nomades »). Accessoirement, si Sarkozy figure aux côtés de Trump et de Berlusconi, comme représentants du nouveau type de dirigeants secrétés par la crise du système, le troisième volet écrit en 2019 se garde de parler de Macron, autre cas de ces outsiders de la politique.