Entretien. Un an après Sainte-Soline, quelques mois après la dissolution ratée, « l’Anticapitaliste » a rencontré Caroline, des Soulèvements de la Terre, pour faire le point...
Après cette année de haute intensité, peux-tu nous dire où en sont les Soulèvements de la Terre ?
On peut dire, d’abord, que comme tout le monde, nous avons été durement traumatiséEs par l’expérience de la répression de la manifestation de Sainte-Soline. Le reportage de Off-Investigation et de Reporterre, « Sainte-Soline autopsie d’un carnage », en donne un retour glaçant. À l’inverse, la dissolution qui a suivi le 21 juin a donné lieu à des manifestations de soutien extraordinaires, la signature d’un texte par près de 160 000 personnes à ce jour, et l’émergence des comités...
Le soin apporté à notre défense juridique, ajouté à cette mobilisation, nous a valu la suspension de l’arrêté le 11 août et son annulation le 9 novembre. Nous savons que les termes du Conseil d’État laissent planer une menace, mais le rapport de force qui nous a permis cette victoire demeure.
Ensuite, nous avons fait en sorte de maintenir un niveau d’activité très élevé — contre Lafarge, contre l’extractivisme, avec les No Tav de la Maurienne, la Déroute des routes contre l’A69, contre le contournement de Rouen. Dans ces mobilisations, nous avons cherché, pour ne pas nous laisser enfermer dans des logiques d’affrontements, à enclencher une autre dynamique, à faire émerger de nouveaux récits d’action, un imaginaire joyeux, notamment en nous appuyant sur la collaboration avec les naturalistes déter, comme lors de la mobilisation près de Rouen.
Et puis les comités...
Bien sûr, l’émergence de plus de 200 comités ! Avant Sainte-Soline, il y avait, en France... un comité local ! Cela recoupe des situations très diverses : ça va de l’antenne locale qui relaie simplement les initiatives nationales et organise la participation aux actes des Soulèvements, à des comités structurés, en lien avec les luttes locales, et même à des comités qui impulsent des résistances locales. En fait, le lien avec les luttes locales se fait là où il y a de l’énergie, de l’envie, de la créativité... Il y a aussi des intercomités, structurés sur un territoire régional, qui organisent l’action. La lutte contre Lafarge a été largement structurée par les comités locaux qui ont choisi leurs cibles.
Autre exemple, sur la Palestine, ce sont les comités de Rennes et d’Île-de-France qui ont impulsé la journée nationale BDS contre Carrefour, en collaboration avec Urgence Palestine et la Conf’, et ça a donné une trentaine d’actions un peu partout, à Lyon, à Grenoble... En effet, notre lutte contre l’accaparement est internationaliste et anti-impérialiste : les PalestinienNEs se battent pour leur droit à exister sur leur terre !
D’autres initiatives émanent des comités, notamment celui de Marseille contre les usines d’armement, qui marque aussi un tournant décolonial des Soulèvements, anti-impérialiste, vers la lutte contre les intérêts coloniaux de l’État français.
La révolte agricole vous a-t-elle percutéEs ?
L’irruption de la colère paysanne nous a profondément bousculéEs ! C’est que ça touche des questions qui nous parlent : le revenu, le libre-échange ! Les Soulèvements de la Terre sont aussi un mouvement paysan : les paysanNEs suivent la FNSEA, voire la Coordination rurale, mais nous ne nous satisfaisons pas de cette fracture, nous voulons aller les chercher !
Nous voulons défaire la dualité écolos urbains / monde paysan ; nous ne voulons pas être celleux qui viennent de la ville dire aux paysanNEs ce qu’iels doivent faire, mais nous voulons faire émerger des intérêts communs contre la bourgeoisie agricole ! Sur la question du revenu, de la terre... Une classe, ça se construit. Au-delà, nous voudrions faire le lien avec les ouvrierEs agricoles, les saisonnierEs, les ouvrierEs de l’agro-industrie, celles et ceux qui sont exploitéEs par le système aux mains des gros.
Les paysanNEs sont coincés : en amont par le marché des semences, des intrants, des machines, et en aval par les industries de la transformation et de la distribution. C’est en amont et en aval que se concentrent les profits : il faut récupérer la plus-value, ce sera indispensable pour avancer vers un autre modèle agricole, une agriculture paysanne...
Comme l’Atelier paysan nous pensons qu’il ne s’agit pas de la responsabilité individuelle, mais d’une démarche collective qui reposera sur le triptyque éducation populaire, rapport de forces, alternative.
Justement, quid des Greniers de la terre ?
L’idée des greniers, c’est que les comités des Soulèvements, qui mettent en place des réseaux de distribution de produits pour nourrir les luttes, les grèves, nos rassemblements, soient en mesure de produire eux-mêmes les aliments distribués ! Il s’agit d’être immédiatement capables d’approvisionner nos initiatives par nos productions, de façon indépendante. Cela préfigure un futur désirable de nos luttes, une alternative possible en cas de crise (comme celle du covid) mais aussi, à notre échelle, une société telle que nous la voulons. Un réseau national se met en place, qui regroupe actuellement une douzaine de greniers, à des degrés divers de développement, mais ça avance. Cela participe de la volonté de « tisser la trame » que veut impulser la saison 7...
Alors, la saison 7, peux-tu en parler ?
Détricoter les filières mortifères... On veut s’attaquer aux filières, comme celle du tout maïs. Les super-mégabassines destinées à Limagrain seront au centre de l’étape de mai. On va poursuivre la lutte contre la logistique, les méga-entrepôts des plateformes, Greendock en région parisienne, ainsi que contre l’A691.
Nous agissons pour gagner ! D’ailleurs, nous avons déjà gagné : les bassines ont du plomb dans l’aile ! 45 ont été annulées par la justice, 17 ont été débâchées... L’extension de la carrière de Saint-Colomban a été abandonnée !
Une échéance importante, au mois de juillet, c’est la préparation d’une nouvelle mobilisation pour l’eau, en Deux-Sèvres, juste avant les Jeux olympiques. Du 14 au 19 juillet, ce sera le village pour la défense de l’eau, « pour se rencontrer, se solidariser, se préparer, commencer à agir et préparer l’avenir », suivi les 20 et 21 juillet par un grand week-end de mobilisation internationale, où nous espérons voir des dizaines de milliers de personnes...
Propos recueillis par Vincent Gibelin