L’ubérisation est en marche et rien ne l’arrêtera, à en croire les nouveaux utopistes (bien payés) du libéralisme. La preuve, aux Etats-Unis, le salariat serait en plein recul, la majeure partie des créations d’emplois se ferait en « free lance », grâce aux nouvelles technologies.
Les statistiques américaines ne disent pourtant pas cela.
Certes, le nombre de chauffeurs VTC inscrits sur la plateforme Uber est impressionnant (un million), et 30 000 « micro-entrepreneurs » travaillent pour des particuliers (jardinage, courses, etc.) et des entreprises de façon temporaire via la plateforme TaskRabbit.
Mais, sur le « long terme récent », entre 2005 et 2015, Philippe Askenazi estime que « si tendance il y a, elle est plutôt au déclin de l’emploi indépendant (10 % contre 11 %) ou du cumul d’emplois, et non pas, comme parfois fantasmé en Europe, un déclin inexorable de l’emploi salarié principal (…) Le revenu mixte des indépendants n’affiche pas un mouvement clair » (10 % de la valeur ajoutée en 2005, 9 % en 2010, 10 % en 2012). Si l’on compare l’innovante et flexible Amérique à la rigide Union européenne (à 15, les plus riches), la part des « free-lancers » (travailleurs indépendants sans salariés) est passée de 9,6 à 10,3 % dans celle-ci, alors qu’elle a plutôt décliné aux Etats-Unis. Il y a là-bas moins de travailleurs indépendants (sans employés) dans la population active qu’en France : 7 à 8 % contre 11 %.1
S’il y a un rebond des « free-lancers » américains, il est tout récent, et c’est un révélateur d’une relance américaine en trompe l’œil. La majorité de ces emplois sont dans les services non qualifiés et mal payés. Avec peu d’activité : 85 % des chauffeurs Uber sont à temps partiel, souvent moins de 10 heures par semaine. L’ubérisation est (en grande partie) un des aspects du chômage déguisé : le taux de chômage officiel est de 5,5 % mais le « taux de participation au marché du travail » a baissé (62 % seulement, moins qu’en France), car il y a de nombreux « découragés de l’emploi ». Si l’on intègre les temps partiels non volontaires (y compris « ubérisés ») le nombre de personnes « en mal d’emploi » est de 12,6 % (données analysées sur criseusa.blog.lemonde.fr).
Sous-emploi, surexploitation, précarité : depuis trente ans le salaire médian réel américain a tout simplement stagné, et le nombre de pauvres est passé de 39,8 millions en 2006 à 46,4 fin 2012.
L’ubérisation n’est pas une recette miracle pour les créations d’emplois. Sa généralisation est un fantasme (peu séduisant), car les besoins des entreprises capitalistes ne se résument certainement pas à des armées d’auto-entrepreneurs.
Y.C.