En 2008, Laurence Parisot, l’ex-patronne du Medef s’était fait applaudir avec un discours digne du docteur Knock : « Benchmarker c’est la santé ». Cette discipline qu’on doit à un de ces foutus ingénieurs de chez Xerox consiste à évaluer dans une optique concurrentielle pour s’améliorer. Ne dit-on pas aujourd’hui « Photocopier tue » ?Quiconque travaille dans le secteur public a droit depuis quelques années à deux lapidations : la première étant d’être vu comme un paria se tournant les pouces dans un bureau sombre et harcelant le petit entrepreneur, la seconde étant de subir les injonctions de sa hiérarchie par des indicateurs de performance et d’évaluation. Ce petit sévice nous vient d’une règle apprise chez Rank Xerox pour améliorer le rendement, les ventes et donc la marge. Que l’on soigne, que l’on enseigne, que l’on tente de faire rentrer les sous des contribuables de Suisse jusque dans le Lot, que l’on recherche, que l’on travaille au déneigement à Marseille ou à la poste aux îles Kerguelen, on est noté, évalué, chargé de faire mieux, de faire de la qualité sous couvert de quantité. À coups de baromètres, d’indicateurs qui sont autant de sanctions, de palmarès, l’esprit managérial empoisonne le facteur et l’enseignant, et lui grappille du temps. Le management de la qualité est une course sans ligne d’arrivée.
Les deux chercheurs coupables de cette étude ont exploré trois champs pour appuyer leur thèse : la police, l’hôpital et l’université. Revenant sur la politique du chiffre testé à New York, ils racontent son importation à la préfecture de Paris. Dans les hôpitaux avec le PMSI, le Programme de médicalisation des systèmes d’information, ils analysent leurs dérives logiques : cette pratique, désormais récurrente et ignoble, de classement des meilleurs hôpitaux, ou des meilleures universités que l'on retrouve à la une des journaux.Comment sortir de la statistique qui guide vers toujours plus de productivité et de performance dans des secteurs qu’on voudrait non marchands ? Les auteurs appellent de leurs vœux à une résistance par les chiffres, à un « statactivisme ». Une baston de chiffres, ça fait rêver !
Christophe Goby
Benchmarking, l’État sous pression statistique, Isabelle Bruno et Emmanuel DidierZones. 2013, 18 euros.